Mauritanie : de l’appli au tatami, le combat de Dioully Oumar Diallo pour protéger les femmes
Le Monde Afrique – L’ingénieure de 38 ans a créé une application mobile qui vise à sécuriser les trajets des Mauritaniennes, ainsi qu’une association qui leur donne des cours d’autodéfense.
La douceur de sa voix masque sa pugnacité. Mais qu’on ne s’y trompe pas, Dioully Oumar Diallo est une guerrière. Engagée sur plusieurs fronts, cette militante se bat contre les violences faites aux femmes en Mauritanie. Une bataille qui marque le pas, estime celle qui voit « la femme mauritanienne se renfermer de plus en plus, car la société est de moins en moins tolérante ». « Avant, on en croisait beaucoup plus dans les restaurants et les espaces publics », regrette-t-elle.
Née à Nouakchott il y a trente-huit ans, Dioully Oumar Diallo a fait ses études secondaires au Sénégal, puis a obtenu un master 2 en réseaux et télécommunications à l’université de Dakar.
Lorsqu’elle rentre au pays, en 2012, la capitale est frappée par une série de faits divers tragiques dans lesquels des femmes sont kidnappées, violées et parfois tuées. « Durant mes quelques années d’absence, les mentalités avaient changé. Nouakchott n’était plus la ville paisible de mon enfance. Mes petites sœurs étaient abordées ou importunées dans des taxis, j’avais peur pour elles. En 2013, c’est une mère de famille qui a été kidnappée par un chauffeur puis massacrée dans un stade. »
C’est alors que Dioully Oumar Diallo s’engage dans son combat. Elle souhaite sécuriser les déplacements des femmes et, grâce à sa formation d’ingénieure en télécoms, créée Taxi Secure, une application gratuite qui permet, depuis un téléphone portable, d’identifier un taxi grâce à sa plaque d’immatriculation, d’envoyer rapidement un message d’alerte si le chauffeur devient menaçant et enfin de géolocaliser le véhicule. Taxi Secure remporte le Prix de l’engagement associatif de l’ambassade de France puis se distingue lors d’une compétition organisée par Hadina Rimtic, un incubateur de projets technologiques et innovants en Mauritanie.
Karaté, judo, kung-fu…
Si l’idée est géniale, l’application a aussi ses limites. D’abord « parce qu’elle n’est disponible que sur smartphone, or les jeunes femmes n’ont pas toujours les moyens de s’en offrir un », reconnaît Dioully Oumar Diallo : « En plus, il faut du crédit pour envoyer le message d’alerte et un bon réseau pour activer la géolocalisation, ce qui n’est pas toujours le cas ici. » L’ingénieure estime alors que son application ne peut suffire pour lutter contre ces violences qui se multiplient au fil des ans. Une nuit, c’est une de ses sœurs qui est victime à son domicile d’une agression ultraviolente au cours de laquelle un homme armé tente de la violer.
« J’ai compris dans un second temps que le meilleur moyen de se défendre, c’était d’assurer soi-même sa sécurité », poursuit Dioully Oumar Diallo. Et même si elle ignore tout des arts martiaux, il en faut plus pour l’arrêter. Méthodique, la jeune femme se plonge dans l’autodéfense, un ensemble de techniques qui associe des mouvements empruntés au karaté, au judo, au kung-fu… En 2016, elle crée RIM Self Defense, une association où, après avoir suivi une formation de six mois, les filles peuvent enseigner gratuitement dans les quartiers de la capitale et partager leur savoir.
« Les techniques que j’ai apprises m’ont donné confiance en moi », explique Fatimata Sow, qui a suivi les cours pendant un an après une agression sexuelle chez elle : « Pendant les entraînements, je retrouvais des copines et on s’échangeait des conseils. Progressivement, je suis devenue moins timide. » Pour ces femmes de tous âges, les dojos de RIM Self Defense, financés en partie par la coopération française, sont devenus des espaces sécurisés, des lieux d’échanges et de conseils.
Une loi rejetée deux fois
« Il n’y a pas d’espace public féminin en Mauritanie, rappelle Dioully Oumar Diallo. Les cours d’autodéfense, qui se sont arrêtés fin 2019 faute de financement, ont permis aux femmes d’apprendre à se défendre, mais également de passer un moment entre elles pour discuter librement de leur sexualité, des mariages forcés… La situation reste d’autant plus difficile dans le pays que si une femme porte plainte pour viol, elle n’est pas à l’abri d’être accusée d’adultère. »
Le droit mauritanien est fondé sur la charia, la loi islamique. Un projet de loi, porté en mars 2016 par le gouvernement, prévoyait notamment l’aggravation des peines pour viol, la pénalisation du harcèlement sexuel et la création de chambres spécifiques pour les affaires de violences sexuelles. Mais à deux reprises, en janvier 2017 et en décembre 2018, il a été rejeté par le Parlement. « Cette loi, qui a ensuite été revue par la société civile mais aussi par des oulémas [théologiens de l’islam], est prête », assure Sektou Mint Mohamed Vall, présidente de l’Association mauritanienne d’aide aux nécessiteux (Amane) et du Collectif pour les droits des femmes : « Il faut qu’elle soit votée rapidement par les parlementaires, car il y a actuellement une recrudescence des viols et des violences faites aux femmes. »
Dans un quartier périphérique de Nouakchott, « là où elles sont le plus exposées aux risques de violence », Dioully Oumar Diallo cherche à ouvrir un espace où les femmes pourront faire du sport, lire, discuter ou suivre des cours. Son rêve est de « trouver un lieu où elles pourront se réapproprier leur corps et se retrouver librement, sans être jugées ou insultées ».
Par Pierre Lepidi (Nouakchott, envoyé spécial)