Voyages de Mungo Park en Afrique de l’Ouest : une reconnaissance dans les profondeurs de la zone du Sahel précolonial

Future Afrique – (Première Partie) L’explorateur écossais Mungo Park a fait deux voyages dans les profondeurs de l’Afrique de l’Ouest en tant qu’émissaire de la Société Africaine de Londres, (après la mort de son précédent envoyé, le Major Houghton en 1791, dans sa tentative d’atteindre Tombouctou via Tichit et l’échec des tentatives de John Ledyard (mort par overdose médicale en se soignant d’une fièvre aiguë) à partir de la route des caravanes du Nile Bleu et Simon Lucas par la route de Tripoli barrée par des conflits tribaux) ; sur incitation du ministère des colonies britanniques, en mission de retracement du cours du fleuve Niger.

Parmi les objectifs de ces missions, la localisation du site de la ville légendaire de Tombouctou, en plus de l’identification des peuples de la région et de ses ressources économiques en préparation des plans d’expansion de la Grande-Bretagne, en intégrant des données plus précises sur la carte naturelle et humaine.

Cadre général des nouvelles découvertes :

Cette période a coïncidé avec la mainmise britannique sur les ports du Sénégal (Île de Gorée et Saint-Louis), avant leur reprise par la France après les accords de Paris du 30 mai 1814 ; près de cent ans après le traité de Nimègue (17 septembre 1678) entre La France et l’Espagne favorisant la pacification en mer et sur terre.

Le climat général annonçait la poursuite de l’expansion européenne vers les profondeurs du continent noir prometteur de richesses précieuses et de perspectives d’échanges commerciaux et humains.

La fin du XVIIIe siècle de l’ère chrétienne (le XI siècle de l’Hégire approximativement), avait constitué une période typique pour les sociétés traditionnelles précoloniales, après la dissolution des grands empires en Afrique de l’Ouest (Ghana, Tekrur, Almoravides, Mali, Djoloff et Songhaï) et l’émergence de royaumes, d’émirats et de chefferies dispersés au sein de ces régions conservatrices d’un mode social traditionnel, dans l’atmosphère de l’ouverture des échanges commerciaux transatlantiques et de la croissance des ambitions des puissances européennes disposant de flottes navales.

Les historiens et voyageurs arabes qui ont visité ces régions ou écrit sur leurs cultures et leur géographie comptent, plus particulièrement, Ibn Hawqal (Muhammad Ibn al-Qasim al-Baghdadi) après ses voyages en Afrique et en Asie (Configuration de la terre “ Souraat al-ard”, en 344 H, 977 après JC) , Abu Ubaid al-Bakri al-Qurtubi (qui a recueilli des informations sur d’importants marchands et voyageurs arabes du Royaume du Ghana et de sa capitale, Aoudaghost, et de la ville de Oualata (environ 432 AH, 1068 JC), Ibn Battuta qui a visité la région vers 706 AH, 1350 JC, traversant le désert des Moulethemines (hommes voilés) et tout près dans ses voyages et Hasan ibn Muhammad al-Wazzan al-Zayyati, dit Léon l’Africain (qui a visité deux fois Tombouctou avant d’être capturé et conduit en Italie au siège du Pape Leon X) et écrit sur l’Afrique , us et coutumes, sur demande de ses hôtes, dans un célèbre livre ( “Description de l’Afrique” environ 1550 AH, 900 JC) , Ibn Khaldun (Les royaumes et les dynasties) ,

Al-Idrisi dans ses cartes du monde et Shihab al-Din Abu al-Abbas Ahmad ibn Fadlallah al-Umari (dans Masalik al-absar fi mamalik al-amsar) qui a visité l’Égypte après le passage de l’empereur malien Mansa Musa lors de son célèbre pèlerinage (en l’an 1324 après JC 681 AH), au cours duquel, il a collecté de nombreuses nouvelles de ces Etats riches à l’époque et les ambitions transcontinentales de leurs rois.

Eu égard à la prédominance de la culture orale sur plusieurs sociétés africaines, de nombreux détails des événements importants vécus par ces peuples ont été perdus, tandis que les rares témoignages ont revêtu une valeur cardinale dans l’océan de l’inconnu documentaire et de l’oubli historique.

Les atlas géographiques africains avaient comporté de nombreuses zones d’ombre après les cartes d’Ibn Hawqal (977 JC) et al-Idrisi sur le monde (Tabula Rogeriana) dans son livre Nuzhat al-muštāq fī iḫtirāq al-āfāq en 1154 JC), les chroniqueurs portugais (comme Gomes Eanes de Zurara) et l’italien Ca Da Mosto dans leurs cartes depuis leur débarquement dans le Banc d’Arguin en 1434 et les côtes de la Gambie et de la Guinée, peu de temps après; plus de deux siècles avant “ le premier voyage du Sieur de la Courbe a la coste de l’Afrique en 1685” , représentant de la compagnie française, et son témoignage sur les échanges et les habitudes des peuples aux confins du Sénégal.

Il convient de noter, dans ce contexte d’exploration, traversant les frontières “classiques” , deux expéditions africaines, ayant rarement en dépit de leur dimension symbolique, retenu l’attention des historiens : la première concerne le prince almoravide Ali ibn Yusuf bin Tashfin Al Lamtouni et dirigée par son capitaine Ahmed Ibn Oumar depuis Lisbonne (actuellement la capitale du Portugal et jadis ville almoravide ), pour conquérir les îles lointaines dans les profondeurs de l’océan et la seconde, intervenue des siècles plus tard, de l’Empereur du Mali, Mansa Abu Bakr II (frère de Mansa Musa, qui défraya la chronique égyptienne par sa richesse en or à l’occasion de son pèlerinage à La Mecque effectué en 1324). Portant le prénom musulman de Aboubacar et appelé par les siens Bakari, il avait lancé son périple dirigé par lui-même (laissant les affaires de l’Empire aux mains de son frère) depuis les côtes du Sénégal, après le retour d’un seul navire de sa première odyssée navale.

Sa deuxième expédition, forte d’une flotte composée de milliers de bateaux transportant des soldats, des fournitures, des machines de construction, de l’or et des armes, dans la première tentative sérieuse de traverser l’Atlantique 200 ans avant Christoph Colomb.

La source de cette histoire se trouve dans l’encyclopédie Masalik Al-Absar de Shihab al-Din al-Umari (1300-1349), historien d’origine syrienne qui vivait en Égypte. Ce dernier avait 24 ans quand l’empereur mandingue Mansa Musa (ou Kanka Moussa) défraya la chronique par sa richesse en or à l’occasion de son pèlerinage à La Mecque effectué en 1324 et rapporta les détails de cette exploration rarement mentionnée dans les manuels de l’histoire.

Toutefois, les historiens divergent sur l’arrivée de certains de ces bateaux sur les côtes de l’Amérique en raison des déclarations faites par des indiens aux compagnons de Colomb au sujet de bateaux transportant des personnes à la peau noire et de la présence de lances portant des têtes dorées semblables à celles de la région de Guinée province du Mandingue historique.

L’évocation de ces ambitieuses campagnes navales s’inscrit dans le cadre d’une reconnaissance objective du rôle de chacun dans la confection de l’histoire, du rejet du l’unilatéralité pionnière et du monopole du leadership qui prévaut dans la vision européocentriste dominante de l’histoire de la région et du monde.

Cette dimension, souvent occultée, jette peut-être son ombre sur certains aspects des relations tendues, ces jours-ci, entre certains pays africains et les puissances occidentales ayant des intérêts dans la région. L’appréciation de l’altérité historique demeure au centre de l’incompréhension culturelle et diplomatique.

L’exploration du médecin britannique Mungo Park s’inscrit dans le cadre de l’identification des profondeurs de l’espace africain au décor traversé de caravanes ( du sel, de l’or, de l’ivoire, des esclaves) , des déserts sauvages, des forêts denses, des fleuves entrelacés, de peuples aux dialectes divers, de princes et rois en compétition devant l’attrait des sources de richesse avant le partage de l’Afrique lors de la conférence de Berlin de 1884 et la délimitation approximative des frontières nationales plus tard.

Malgré des réserves sur certaines des conclusions du médecin explorateur et ses préjugés discutables à l’égard de certains groupements ethniques (Peulhs et maures notamment) ; son témoignage est considéré comme un trésor d’observations directes dans les profondeurs du quotidien des peuples dont il a séjourné dans les terreaux avant le crash colonial et plus d’un siècle et demi avant l’apparition des médias et documentaires audiovisuels.

Il présente aussi une carte politique approximative des royaumes et principautés dans leurs relations de coopération et de conflits récurrents.

Ce témoignage détaillé soulève également des questions majeures sur les responsabilités morales et historiques de la traite des esclaves et son impact sur le progrès et la croissance de l’Afrique en plus de l’assujettissement de la dignité humaine et de la mémoire des peuples sin tempore.

Mungo Park dans une aventure d’exploration des peuples du bassin du Niger :

Le premier voyage commença depuis le port de Portsmouth, le 22 mai 1795, à bord du navire Endeavour, à destination de la côte du fleuve Gambie, d’où l’aventurier continua jusqu’à la gare de Pisania pour passer six mois environ, dans la préparation de sa tournée et l’apprentissage du Manding, la langue la plus en vogue dans la région, avec Dr Laidly (commerçant britannique et courtier agréé dans les échanges entre marchands d’esclaves et navires européens), lequel, mis à sa disposition, sur demande de la Société Africaine de Londres, les accommodations du voyage: deux ânes pour porter ses camarades africains ( Demba et le traducteur Johnson), un cheval blanc pour lui-même, deux pistolets, un fusil de chasse, un sextant pour mesurer la hauteur, un parapluie, deux boussoles de poche, une montre-bracelet, des vêtements européens et quelques marchandises (tabac, farine d’or, perles d’ambre et de corail, morceaux de tissu et plaques de fer, poudre à canon….) en plus de recommandations pour certaines dettes dues à des marchands d’esclaves dans les royaumes qu’il pourrait traverser.

Il emporta également avec lui le livre de l’orientaliste John Richardson sur la grammaire arabe (publié en 1778) avec les notes de l’Irlandais Daniel Houghton, qui l’avait précédé peu de temps sur le chemin de Tombouctou et mourut entre Tara (puits dans la région du Brakna) et Tichit en 1791.

Park a documenté ce voyage marathonien (du comptoir de Pisania, la côte de la Gambie à l’ouest, à la ville de Silla sur le fleuve Niger à l’est de Ségou) dans son livre témoignage “Travels into the interior of Africa” publié en 1799, dont nous nous appuyons sur l’édition 2020, Wordsworth, 406 pages), après son retour en Europe, au moment où ses amis pensaient qu’il était mort, après 30 mois d’absence.

Faute de trouver un navire se dirigeant directement vers l’Europe il débarqua à bord du bateau américain Charlestown en direction de la Caroline du Nord avec 132 esclaves, dont certains écrivent et lisent l’arabe (prisonniers probablement de la guerre entre L’Almamy du Fouta et le damel du Djolof).

Il devint le soignant des passagers du navire après la mort de leur médecin, conversant avec eux et documentant les souffrances de ces opprimés terriens dans l’océan, les détails de leur séquestration et de leur trafic dans un voyage sans retour et sans pitié. Il arriva en Grande-Bretagne depuis l’île antillaise d’Antigua dans les Caraïbes fin décembre 1797.

Par Sidi Mohamed Ould Abdelwehab

Traduit de l’arabe par Mohamed Ould Mohamed Lemine et revu par l’auteur.

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