« La nouvelle stratégie des USA prend désormais davantage en compte les priorités de l’Afrique », selon une chercheuse

Francetvinfo – L’administration Biden entend remodeler ses relations avec les pays africains. Le récent sommet sur l’Afrique à Washington est censé en avoir produit la feuille de route, comme le rappelle l’universitaire Folashadé Soule.

Une rencontre couronnée de « succès », selon Moussa Faki Mahamat. Le président de la Commission de l’Union africaine s’est réjoui, vendredi 16 décembre sur Twitter, de l’issue du sommet entre les Etats-Unis et l’Afrique, auquel 49 pays ont participé.

Selon l’ancien Premier ministre du Tchad, cette rencontre à Washington constitue « une autre démonstration forte de l’engagement de l’administration Biden à réinitialiser le partenariat stratégique entre les Etats-Unis et l’Afrique sur la base du respect mutuel ». Folashadé Soule, chercheuse en relations internationales à l’Université d’Oxford (Royaume-Uni), nous éclaire sur cette évolution des Américains.

Franceinfo : que retenez-vous du sommet qui vient de se tenir à Washington ?

Folashadé Soule : Il entend démontrer le réengagement des Etats-Unis en Afrique depuis le précédent sommet qui a eu lieu sous Obama en 2014. Il s’inscrit dans la nouvelle stratégie américaine en Afrique. Et il y a déjà un changement de rhétorique : la Chine n’a quasiment pas été évoquée. On peut signaler les initiatives économiques qui mobilisent davantage le secteur privé américain, des offres de financement plus diverses mais également des renforcements institutionnels internes au sein de l’administration américaine à travers la nomination d’un représentant présidentiel pour la mise en œuvre de ces initiatives (l’ambassadeur Johnnie Carson).

Au niveau politique, les Etats-Unis ont soutenu l’élargissement du G20 avec un siège pour l’Union africaine, de même qu’un siège permanent pour l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU. La ZLECA [ Z one de libre-échange continentale africaine] a reçu un soutien plus conséquent. L’Afrique semble donc être davantage une priorité pour les Etats-Unis, mais il reste à voir dans quelle mesure ces initiatives seront exécutées et l’impact qu’elles auront sur les relations commerciales. Les produits africains ne représentent à ce jour qu’environ 1% des importations américaines.

Avant ce sommet, en août, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a dévoilé la nouvelle stratégie africaine des Etats-Unis. Qu’a-t-elle de différente par rapport aux précédentes ?

Lors des précédentes visites des secrétaires d’Etat américains en Afrique, démocrates comme républicains, le discours était particulièrement offensif vis-à-vis des relations entretenues par les gouvernements africains avec la Chine. Or il était perçu comme condescendant et paternaliste sur le continent, car il sous-entendait que les pays africains n’étaient pas en mesure de choisir leurs partenaires selon leurs objectifs.

Ce narratif n’était pas non plus efficace dans la mesure où il n’a pas empêché les gouvernements africains de poursuivre leur stratégie de diversification des partenaires, notamment économiques et sécuritaires avec la Chine, la Russie, mais également avec la Turquie.

La nouvelle stratégie américaine amorcée par la tournée de Blinken en Afrique en 2021, bien qu’elle n’occulte pas une rivalité avec la Chine et la Russie, se démarque à plusieurs niveaux. Il est désormais question d’un « partenariat » entre les Etats-Unis et l’Afrique : un rapprochement et une coordination renforcée avec les institutions régionales, notamment l’Union africaine, un renforcement de la coopération pour lutter contre le changement climatique et promouvoir une transition énergétique juste, ainsi qu’une augmentation des financements dans le cadre des projets économiques qui sont prioritaires pour les pays africains, y compris la mobilisation de capitaux privés. La nouvelle stratégie américaine se démarque donc des précédentes parce qu’elle prend désormais davantage en compte les priorités africaines.

Pourquoi la Chine reste-t-elle la principale menace en Afrique aux yeux de Washington ? Les liens récents du Mali, de la Centrafrique et du Burkina Faso avec la Russie ne constitueraient-ils qu’une menace « mineure » pour les Américains ?

L’incursion de la Russie en Afrique et plus récemment dans le Sahel constitue une menace pour les Etats-Unis, mais elle semble se concentrer, pour le moment, dans le domaine sécuritaire, avec l’intervention d’acteurs comme le groupe paramilitaire Wagner. Les stratégies de désinformation à l’encontre de l’Occident, et surtout de la France, dans les pays francophones africains constituent aussi une menace.

A ce titre, les Etats-Unis envisagent un projet de loi, le « Countering Malign Russian Activities in Africa Act », qui entend contrer les activités perçues comme néfastes de la Russie en Afrique et dissuader les pays africains de s’engager avec Moscou dans divers domaines sous peine de sanctions. Cette initiative a suscité des critiques de la part de plusieurs pays africains, dont l’Afrique du Sud, qui y voient une entrave à leurs objectifs de diversification de leurs partenaires.

Cependant, l’engagement de la Chine en Afrique va bien au-delà de l’économie. Il s’étend désormais dans les domaines de la sécurité, de la technologie, de l’agriculture, de l’environnement, de la santé, des médias et de la politique. L’offre de la Chine est donc plus « intégrée » et représente une compétition plus inquiétante pour les Etats-Unis sur le long terme en Afrique, mais également à l’échelle mondiale.

Concrètement, qu’est-ce que les Etats africains gagnent grâce à ce « virage américain » ?

L’offre partenariale s’agrandit pour eux. Ils ont désormais plus d’options sur la table. Afin qu’elles soient bénéfiques au développement des économies africaines, il faut cependant que les Etats soient sélectifs et s’engagent selon une stratégie préalablement définie.

L’engagement croissant des partenaires traditionnels comme nouveaux – Inde, Brésil, Turquie, Corée du Sud – constitue une compétition qui peut être constructive. Pour cela, les Etats africains doivent éviter les logiques à somme nulle, c’est-à-dire remplacer un partenariat par un autre pour des considérations géopolitiques. Enfin, ils doivent davantage se structurer en interne afin de pouvoir gérer au mieux ces partenariats multiples.

Rédigé par Propos recueillis par – Falila Gbadamassi
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