Le phénomène du divorce en Mauritanie
J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt des articles publiés dans des journaux internationaux, parlant de certaines normes négatives de la société mauritanienne, comme l’engraissement (Leblouh) et autres. L’un d’entre eux a particulièrement attiré mon attention, qui décrit de manière romancée et assez enthousiaste les conséquences du divorce sur la Femme Mauritanienne, bien loin de certaines traditions arabo-africaines ; et qui a été publié dans un journal américain.
En fait, la Mauritanie est un pays multi-ethnique, influencé par la tradition berbère, très matriarcale, qui confère aux femmes, surtout dans l’espace hassanophone certains
droits au sein de la société ; et par certains aspects, notamment le divorce, elle est à contrecourant de plusieurs sociétés arabo-africaines.
Cependant d’autres pans de notre société multiculturelle ayant des traditions différentes, ne se retrouvent pas dans cette description, et dont les femmes se sentent choquées d’être traitées de légères et sans états d’âme en face du divorce. Ceci dit, les conclusions que vous avez faites ne reflètent pas toute la réalité sur les circonstances du mariage et du divorce dans la société mauritanienne ; elles ne prennent pas en compte toutes nos valeurs humaines, religieuses ; ainsi que notre diversité culturelle. Voilà donc des préjugés qui ajoutent l’insulte à l’injure, déjà causée par des normes sociales négatives, des stéréotypes et l’absence d’application des lois et des instruments internationaux qui empêchent les femmes stigmatisées d’accéder de se défendre.
Insulte et injure
Il est vrai que dans certains milieux hassanophones, le divorce a toujours été un phénomène qui « n’est pas plus grand que ce qu’il vaut » ; la femme divorcée n’est effectivement pas condamnée, et dans certains cas, acquiert même plus d’autonomie et plus de responsabilité. Dans ce cas, il ne s’agit ici ni plus ni moins que d’une forme de solidarité et de prise en charge psychologique accordée à la femme divorcée par la société pour l’aider à surmonter son désarroi et protéger ses enfants abandonnés. Mais cette réalité sociale atypique et joyeuse, cache mal les difficultés sérieuses que rencontrent toutes les femmes Mauritaniennes divorcées, à l’instar des autres pays pauvres, et liés notamment à l’insécurité conjugale, à la pauvreté et à l’abandon de l’ex-mari (qui ne remplit pas ses obligations de pension alimentaire), à la difficulté de faire reconnaitre ses droits ; notamment devant des juridictions quelques fois très conservatrices, dont la plupart sont peu favorables à la sauvegarde des droits des femmes et des filles.
Selon les sociologues, le phénomène du divorce constitue un cas isolé, considéré par certains milieux, comme étant une honte et en incombe toute la responsabilité à la femme ; celle-ci devrait inéluctablement supporter que « l’orifice de son oreille se remplit chaque nuit de larmes », pour réussir son mariage et éviter le divorce. D’autres, notamment à l’Est et au Sud du pays considèrent la femme qui n’a jamais divorcé comme étant sans charisme, sans charme et sans qualité de leadership.
Comme vous le savez, la séparation de deux personnes mariées qui ont vécu ensemble est toujours une épreuve humaine, et aucun d’eux ne peut normalement célébrer le divorce, quel que soit le degré d’animosité entre eux, notamment devant leurs enfants.
En général, la plupart des femmes vivent une situation dramatique en cas de divorce, car il s’agit souvent d’une décision unilatérale du mari qui est rarement concertée et prise en commun accord entre les deux conjoints. Ceci est d’autant plus vrai, que la femme répudiée avec des enfants en bas âge se trouve, du jour au lendemain, sans pension alimentaire, ni assurance médicale, ni soutien scolaire. Une femme responsable, instruite et à l’abri du besoin n’oserait pas célébrer le divorce devant des enfants qui viennent d’être privés de leur père.
Pour votre information, beaucoup de jeunes femmes divorcées étaient données en mariage, souvent forcé quand elles étaient encore mineures, surtout en milieu rural, n’ayant donc aucun sens de responsabilité de la conjointe censée être engagée pour le meilleur et pour le pire. Celles-ci très tôt divorcées pendant qu’elles sont encore jeunes et sans éducation, ni qualification professionnelle, sont très souvent obligées de se lancer dans une nouvelle aventure sentimentale et sont prêtes à tendre la main au premier prétendant à un soi-disant « mariage » à la recherche d’un soutien pour subvenir aux besoins fondamentaux de sa progéniture.
Une solution odieuse
Notons que ce qu’on appelle ici « mariage » ne correspond pas forcément aux critères et fondements du mariage civil à l’occidentale, par lequel deux personnes adultes s’entendent à respecter un contrat civil bien étudié ; et quelques fois après avoir vécu ensemble pour mieux se connaitre. Ici, il s’agit d’acte soi-disant légal, conforme aux principes de la religion, qui sont du reste rarement suivis, et qui autorise un homme et une femme à vivre ensemble. Il suffit de s’accepter l’un et l’autre, d’avoir deux témoins et que le verset coranique de la Fatiha soit lu par un Imam, dans le but de protéger la réputation de la femme ainsi que l’affiliation de sa progéniture. C’est l’occasion ici de rappeler que ce n’est pas parce que des musulmans outrepassent les principes de la religion qu’il faut s’en prendre à l’Islam.
Dans tous les cas, toute femme divorcée est d’abord obligée de respecter une période de viduité de trois mois environ, qui lui permettra non seulement de s’assurer de la délivrance religieuse en prouvant qu’elle n’est pas enceinte de son ex-mari. Mais surtout de prendre un minimum de recul pour surmonter son chagrin après une décision unilatérale de « répudiation surprise », qui était, jusqu’à récemment, notifiée par une lettre manuscrite transmise par la poste ou remise par un ami de la famille avec une somme d’argent souvent dérisoire. Et en temps moderne, la décision de l’homme de mettre fin à une relation ou une vie commune, peut être transmise même par un simple message « WhatsApp. Et ce n’est pas parce que dans certains milieux traditionnels, les femmes exigent d’être respectées et refusent d’être maltraitées par leurs conjoints ; et sont quelques fois considérées comme des stars dont le charme et la féminité sont déclamés par les poètes et chantés par les griots traditionnels, qu’on doit considérer le divorce comme étant une simple affaire, qu’on doit chanter et célébrer à tout bout de champ.
Il en va de soi que le mariage constitue un acte sacré et vivement recommandé en terre d’Islam, et « le divorce constitue la solution la plus odieuse ». L’une des principales clauses du mariage ou du divorce est fondamentalement basée sur « le maintien dans la dignité sinon la libération dans la générosité ». C’est-à-dire que la femme mariée a droit à une vie conjugale qui lui assure et le bonheur et la dignité ; sinon elle doit être libérée avec tous les honneurs qu’elle mérite ; dont évidemment celui d’être mise à l’abri du besoin.
Le phénomène de la banalisation du divorce a été largement amplifié ces dernières décennies en raison de la faiblesse de la gouvernance socioéconomique et son corollaire tel que la féminisation de la pauvreté et du chômage, à tel point que dans beaucoup de milieux défavorisés, il n’est pas rare de voir des femmes, souvent jeunes, voire mineures accepter de s’adonner à des relations libertines quoique légalisées sous formes de « mariages secrets », qui ne sont ni conformes à la religion musulmane, ni aux lois en vigueur, avec des hommes nantis et officiellement mariés; rien que pour subvenir aux besoins fondamentaux de leurs familles.
En conséquence, le statut des femmes mauritaniennes, divorcées ou non, est déjà dans une situation assez complexe et compliquée en raison des conditions socioéconomiques très difficiles dû à la faiblesse de son engagement personnel en faveur de l’éducation qui constitue l’unique gage de leur autonomisation. Les femmes mauritaniennes ont plutôt besoin d’être encouragées à exiger l’application des lois et la réforme de celles qui sont encore discriminatoires adoptées par une administration publique foncièrement patriarcale. Et notamment dans une période marquée par la volonté politique des plus hautes autorités de l’Etat qui est favorable à l’autonomisation des femmes et à la modernisation de l’Etat dans le respect de nos valeurs et des principes d’un Islam sunnite et éclairé.
Du 27 septembre au 6 octobre, le Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles conduira une visite officielle en Mauritanie qui, je l’espère, nous permettra de discuter de ces questions ainsi que d’autres formes de discrimination que subissent encore à ce jour les femmes mauritaniennes.
Mehla Ahmed Talebna
Présidente de l’Observatoire National des Droits de la Femme et de la Fille (ONDFF).
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