La dérive inquiétante de Mohamed Mahmoud ould Boye à la tête du ministère de la Justice
Le Calame – La nomination, il y a trois ans, de Mohamed Mahmoud ould Boye à la tête du ministère de la Justice fut perçue comme un signe de changement dans la stratégie de ce secteur sensible. Mais au fil du temps, les erreurs commencent à s’accumuler et l’espoir cède la place au désenchantement.
Tous les acteurs judiciaires s’accordent en effet à dire que la gestion de Mohamed Mahmoud ould Boye est un échec et perçoivent dans ses actes une dérive inquiétante. Largement partagé, ce constat alarmant se lit sur trois niveaux.
Celui tout d’abord des nominations, avec le recours au critère ethnique et tribal ; puis celui de l’indépendance de la justice, avec d’arbitraires affectations de juges ; et enfin sur le terrain des réformes.
Le tribalisme érigé en mode de nomination aux postes judiciaires
Le recours au critère ethnique et tribal dans les nominations est un des traits marquants de la stratégie de gestion adoptée par Ould Boye. Partisan d’une vision identitaire de la Mauritanie, il considère « la fonction de juger » comme un attribut de sa communauté tribale.
Selon sa conception, la conduite des tribunaux et de leur Parquet doit être confiée aux magistrats appartenant à celle-là ; leurs confrères issus de groupes différents devant être placés dans des postes de second plan.
Ainsi le Conseil de la magistrature tenu en Décembre 2021, sur initiative d’Ould Boye, a procédé à un vaste mouvement dans la magistrature, accordant la part belle aux magistrats issus de la communauté tribale du ministre qui se sont vus attribuer l’essentiel des postes-clés dans l’appareil judiciaire. Les éléments du corps judiciaire appartenant à d’autres groupes sociaux ont été rétrogradés à des postes secondaires : substituts, conseillers, etc.
Cette tendance est depuis devenue constance dans sa stratégie de gestion des ressources humaines du département, provoquant un réel malaise au sein de notre corps et suscitant la méfiance des partenaires du secteur.
Les affectations arbitraires de juges
Le respect de l’indépendance des juges est un élément fondamental des engagements du président de la République, Mohamed Cheikh ould El Ghazwani. Sous la direction d’Ould Boye, ce principe est cependant remis en cause par des affectations injustifiées au regard du statut de la magistrature qui interdit les changements arbitraires de postes, sauf en cas de nécessité impérieuse.
Quelques exemples tirés d’une beaucoup plus longue liste suffiront à édifier le lecteur : l’affectation arbitraire du président de la Cour d’appel de Nouadhibou, du président de la Chambre administrative de la Cour d’appel de Nouakchott, du président du Tribunal de la wilaya d’Inchiri, du juge d’instruction anti-drogue et, plus récemment, des magistrats qui avaient en charge le dossier de feu Souvi ould Cheïne.
Ces mesures prennent parfois le caractère d’une sanction déguisée contre des magistrats jugés trop indépendants, comme ce fut le cas du président de la Chambre pénale de la Cour d’appel en 2022 ou, il y a peu, du juge d’instruction du Tribunal de Nouakchott-Sud.
Cette tendance à utiliser les affectations pour sanctionner des juges a été fortement dénoncée par le Club des magistrats dans un communiqué publié au mois de Juillet 2023. Face à cette dérive autoritaire, seule la Cour Suprême présidée par Cheikh Ahmed ould Sidi semble opposer une résistance.
Les états généraux de la Justice, un trompe-l’œil
Accusée de partialité et d’inaccessibilité, la justice ne bénéficie pas d’une bonne image auprès des populations. D’où l’urgence d’une réforme profonde et globale de son système. Cette entreprise salutaire suppose un préalable : la mise en place d’une instance nationale de réforme de la justice, dont la mission doit être clairement définie, de manière à lui assurer une certaine efficacité dans l’action et les propositions.
L’organisation des états généraux de la Justice lancés au mois de Janvier 2023 par Mohamed Mahmoud ould Boye s’est tenue selon une optique différente. Le comité de pilotage et les commissions thématiques ont été choisis par le ministre et un calendrier restreint fut imposé, de manière à éviter tout débat de fond sur les problèmes réels dont souffre le secteur : renforcement des garanties d’indépendance, adaptation du système judiciaire à la société, révision de la carte judiciaire, etc.
Par ailleurs, deux universitaires furent choisis par le ministre en dehors des commissions pour élaborer un rapport de synthèse de ces rencontres. Certaines des recommandations de leur rapport final sont en fait inspirées des modèles de réforme conçus par les bailleurs de fonds. D’autres sont issues des expériences de pays voisins, comme le Maroc.
Il apparaît donc que l’initiative de Mohamed Mahmoud ould Boye s’apparente davantage à une mise en scène d’un processus formel plutôt qu’à une véritable réforme du système judiciaire. D’ailleurs, la déclaration de politique générale du Premier ministre Mohamed ould Bilal devant le Parlement ne fait aucunement référence à ces états généraux et à leurs supposées conclusions.
J’achèverai mon propos en disant qu’il n’est pas habituel qu’un magistrat s’exprime sur la gestion de la Justice mais si j’ai tenu à le faire, c’est qu’il m’a paru nécessaire de mettre en lumière cette dérive inquiétante qui met en cause la cohésion, la sérénité et le devenir de notre institution.
Mohamed Bouya Ould Nahy
Ex-procureur de la République de Nouakchott