Langue, culture et développement : naviguer dans le dilemme éducatif de la Mauritanie
Toka DIAGANA : « Ceci est ma position sur l’enseignement des langues nationales en Mauritanie. Je pense que c’est une grosse perte de temps pour un pays comme la Mauritanie. Ceux qui veulent traduire le texte dans d’autres langues (Francais, Arabe, Pular, Soninke, ou Woolof), sont autorises a le faire. »
La Mauritanie, terre d’une profonde diversité ethnique et linguistique, se trouve à la croisée des chemins entre la préservation de son riche patrimoine culturel et la prise en compte des défis pressants du développement moderne.
Le débat autour de l’inclusion des langues nationales – hassaniya, peuls, soninke et wolof – dans le système éducatif est un débat qui suscite à la fois passion et disputes. Bien que ces langues incarnent les identités culturelles de leurs communautés respectives, la question demeure : est-ce que la priorité à l’enseignement des langues nationales sert vraiment le bien de la jeunesse mauritanienne, ou risque-t-elle de détourner les ressources limitées du pays de répondre à ses besoins de développement les plus urgents ?
Cette réflexion soutient que, si la préservation et la promotion des langues nationales sont importantes, elles ne doivent pas se faire aux dépens des préoccupations les plus immédiates et les plus critiques du pays.
Au lieu de cela, il faudrait adopter une approche plus stratégique et pragmatique – une approche qui privilégie le progrès économique et technologique tout en permettant la culture progressive et réfléchie du patrimoine linguistique.
1. Combler le fossé de développement
La Mauritanie, malgré ses abondantes richesses naturelles et culturelles, accuse du retard dans de nombreux domaines clés : éducation, innovation technologique, infrastructures, soins de santé et diversification économique.
Ces écarts ne sont pas seulement des indicateurs abstraits ; ils se traduisent par de réelles difficultés pour la population, avec un taux de chômage élevé, des résultats scolaires médiocres et des possibilités limitées pour les jeunes d’entrer sur le marché du travail.
Dans un tel contexte, est-il justifiable d’allouer un temps et des ressources éducatives précieux à l’enseignement des langues nationales lorsqu’il y a un besoin plus urgent de maîtriser les langues scientifiques, technologiques et internationales ? Dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, la maîtrise des domaines STEM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques), ainsi que des langues mondiales comme le français et l’anglais, n’est pas seulement bénéfique mais essentielle pour toute nation qui aspire à rivaliser sur la scène mondiale. Négliger cette réalité risque de condamner une génération de jeunes mauritaniens à la marginalisation économique.
La priorité des langues nationales dans l’enseignement, bien qu’elle soit culturellement significative, risque de détourner l’attention du besoin pressant de progrès scientifique et technologique.
Un programme éducatif doit avant tout doter les jeunes des outils nécessaires pour combler le fossé de développement et propulser le pays vers un avenir prospère. La Mauritanie doit s’engager plus rigoureusement dans le développement des compétences qui permettront à sa jeunesse d’exceller dans l’économie
2. Langues nationales
Il ne fait aucun doute que les langues nationales de la Mauritanie sont des expressions inestimables de la diversité ethnique et de la richesse culturelle du pays. Pourtant, l’infrastructure académique nécessaire pour élever ces langues en outils efficaces pour l’éducation moderne est loin d’être prête.
Les terminologies spécialisées nécessaires pour enseigner des matières telles que les mathématiques, la physique, la biologie ou l’informatique dans ces langues n’ont pas encore été pleinement développées. En outre, il y a un manque flagrant d’éducateurs qualifiés et de matériels pédagogiques de haute qualité capables de soutenir un projet éducatif aussi ambitieux.
Tenter prématurément d’intégrer les langues nationales dans le système éducatif formel, sans poser les bases académiques nécessaires, pourrait compromettre la qualité de l’enseignement et entraver le succès des étudiants.
Ce serait semblable à essayer de construire un bâtiment sans avoir d’abord sécurisé une fondation stable. Le développement des langues nationales en moyens d’enseignement fonctionnels nécessite des années de recherche dédiée, la création de lexiques spécialisés et la formation d’éducateurs possédant des compétences linguistiques avancées.
Une approche plus judicieuse serait que chaque communauté linguistique s’engage dans des recherches sérieuses visant à améliorer la capacité d’éducation de sa langue. Cela pourrait impliquer la création d’instituts de recherche linguistique dédiés au développement des langues nationales, la création de ressources académiques et la formation d’enseignants qualifiés.
Ce n’est que lorsque ces langues ont subi le processus de maturation nécessaire qu’elles devraient être intégrées dans le programme d’enseignement, et même alors, progressivement et stratégiquement.
3. Les conséquences potentielles pour la jeunesse de Mauritanie
L’une des plus graves préoccupations dans la priorité des langues nationales dans le système éducatif mauritanien est le risque de compromettre les perspectives des jeunes. Au 21e siècle, les compétences techniques et scientifiques sont les clés pour libérer les opportunités économiques, et la plupart de ces compétences sont actuellement diffusées dans les langues mondiales.
Si les langues nationales sont prioritaires sur les sciences, les mathématiques et les langues reconnues à l’échelle internationale, les étudiants pourraient se trouver mal équipés pour rivaliser sur un marché mondial de plus en plus concurrentiel.
En outre, l’intégration des langues nationales comme outils primaires d’enseignement risque d’isoler les étudiants mauritaniens de l’économie mondiale de la connaissance. Les disciplines universitaires les plus avancées – que ce soit en médecine, en ingénierie ou en technologie de l’information – sont enseignées et communiquées dans des langues internationales.
Un programme scolaire trop axé sur les langues nationales au détriment de ces matières vitales pourrait laisser les étudiants mauritaniens dans un grave désavantage, tant sur le plan scolaire que professionnel.
Le rôle de l’éducation est de préparer les jeunes à contribuer activement au développement national et à rivaliser efficacement sur le marché international du travail. Les langues nationales, bien qu’elles soient culturellesment importantes, devraient compléter – et non remplacer – l’enseignement des compétences et des connaissances mondiales.
4. Une approche pragmatique des objectifs linguistiques et de développement
Plutôt que d’encadrer le débat en termes de choix binaire entre développement et préservation linguistique, la Mauritanie devrait adopter une approche équilibrée et prospective.
Cela impliquerait d’abord de renforcer l’enseignement des langues internationales et des compétences techniques tout en investissant simultanément dans la recherche et le développement des langues nationales. Une fois que ces langues auront été fortifiées académiquement, leur introduction dans le programme d’études pourrait se faire sans compromettre la qualité de l’éducation ou les perspectives d’avenir de la jeunesse du pays.
Entre-temps, les langues nationales pourraient être enseignées dans le contexte des études culturelles, de l’histoire ou des traditions orales, permettant aux étudiants de maintenir un lien avec leur patrimoine linguistique sans sacrifier les compétences mondiales critiques.
Cette approche mesurée préserverait l’intégrité culturelle des différentes communautés de la Mauritanie tout en garantissant que les étudiants sont dotés des compétences dont ils ont besoin pour prospérer dans un monde de plus en plus compétitif.
5. Conclusion
En conclusion, si l’enseignement des langues nationales est une entreprise culturelle importante, son intégration prématurée dans le système éducatif risque de faire dérailler les efforts de la Mauritanie pour répondre à ses besoins de développement les plus urgents. Le pays doit donner la priorité à l’acquisition de compétences scientifiques et techniques, ainsi qu’à la maîtrise des langues internationales, afin de combler le fossé de développement et préparer sa jeunesse à un avenir brillant et prospère.
Le développement des langues nationales, tout en étant essentiel pour la préservation de la culture, doit être abordé avec la rigueur académique et la planification à long terme nécessaires.
Ce n’est qu’alors que ces langues pourront devenir des outils efficaces d’éducation sans compromettre les objectifs plus larges du pays en matière de progrès économique et de compétitivité Une approche équilibrée qui honore à la fois la diversité culturelle de la Mauritanie et ses aspirations au développement ouvrira la voie à un avenir plus durable et prospère. De cette façon, la Mauritanie peut réaliser le meilleur des deux mondes : nourrir ses racines culturelles tout en assurant un avenir florissant à sa jeunesse dans un monde mondialisé.
Source: Kassataya-France