Mauritanie et Emirats arabes unis, les dessous d’une riche amitié
La Mauritanie et les Émirats arabes unis, deux pays que géographiquement tout sépare, multiplient depuis plusieurs années les contrats, accords et investissements. TelQuel s’est penché sur cette riche amitié dont le Maroc pourrait bien bénéficier.
Des investissements, des aides, des planifications, des visites de courtoisie… Les liens entre la Mauritanie et les Émirats arabes unis (EAU) sont entrés dans une nouvelle dimension au cours de la dernière décennie. Nouakchott, acteur clé pour la stratégie régionale du Maroc, est en lien constant avec Abu Dhabi, particulièrement depuis l’arrivée au pouvoir de Mohamed Ould El-Ghazouani en 2019.
2020, c’est l’année qui a tout changé. Lors d’une visite dans la capitale émiratie, sa première dans un pays arabe en tant que chef d’État, Mohamed Ould El-Ghazouani est reparti avec un accord stratosphérique sous le bras : “la mise à disposition de deux milliards de dollars pour financer des projets d’investissement et de développement, ainsi qu’un prêt à taux réduit pour la Mauritanie”, évoquait l’agence officielle émiratie WAM.
Un investissement représentant plus de 40% du PIB mauritanien, qui à l’époque s’élevait à quelque 5,2 milliards de dollars. Voilà de quoi sceller une relation stratégique privilégiée.
Preuve en est que, depuis, les visites du président auprès de son homologue Mohammed ben Zayed (MBZ) ont pris l’allure de rendez-vous annuels. En novembre 2021, c’est le sommet mondial de l’industrie qui réunit les deux chefs d’État à Dubaï. En mai 2022, le président mauritanien se rend à Abu Dhabi pour les funérailles de Khalifa ben Zayed, père de MBZ. La COP28, en 2023, est également le théâtre de la rencontre entre les deux hommes.
Et en décembre 2024, Mohamed Ould El-Ghazouani semble avoir pris ses quartiers à Abu Dhabi. Au début du mois, il participe à la célébration des 53 ans de l’Union des Émirats ; et à la fin du mois, il aurait pris part à une réunion avec MBZ et le roi Mohammed VI, dont les sujets de discussion n’ont pas été communiqués.
Des investissements en cascade
Depuis la fameuse enveloppe à 2 milliards, les investissements émiratis fleurissent chez le voisin au sud. En 2023, deux accords sont trouvés. Le premier a été négocié à l’occasion d’une visite en mai du ministre des Affaires économiques mauritanien, Ousmane Mamoudou Kane, à Abu Dhabi.
Le président du Fonds d’Abu Dhabi s’est engagé auprès de la République islamique à participer au financement du projet d’alimentation en eau potable de la ville de Kiffa, à partir du fleuve Sénégal. Selon un média mauritanien, les signataires se sont accordés sur un financement de 30 millions de dollars.
Autre investissement important : celui de la société émiratie Al Dhafra, dans le secteur de l’agriculture. Le 17 mai 2023, deux semaines après sa visite à Abu Dhabi, le ministre des Affaires économiques de Nouakchott annonce la cession de 2.000 hectares de terres arables à l’entreprise émiratie.
Le projet est “destiné à la culture de céréales, de fruits et légumes ainsi que des cultures fourragères, et devrait participer à la création de 100 emplois directs, et 1.000 emplois indirects”, affiche le gouvernement mauritanien. L’opération se chiffre à un investissement d’environ 13,5 millions de dollars.
Deux mois plus tard, le 11 juillet, c’est au tour du ministre de l’Éducation des EAU, Ahmed Belhoul Al-Falasi, de faire escale en Mauritanie. Au palais présidentiel de Nouakchott, il fait part au président El-Ghazouani de sa volonté de construire une université des sciences dans l’est de la capitale.
Pour autant, le chantier qui devait débuter en 2024 ne semble pas avoir été encore lancé, et aucune information n’a été révélée quant au coût de l’opération.
Néanmoins, ces investissements d’Abu Dhabi ne doivent pas occulter sa présence plus ancienne en Mauritanie. Dès 1979, l’Arab Mining Company — une société détenue à la fois par les EAU (20,2%), d’autres pays du Golfe (41,83%) mais aussi en plus faible partie par la Mauritanie et le Maroc — devient actionnaire dans la plus grande entreprise mauritanienne : la Société nationale industrielle et minière (SNIM).
Encore aujourd’hui, celle-ci réalise un chiffre d’affaires de plus de 1,37 milliards de dollars, contribuant à 9% du PIB ; et encore aujourd’hui, l’Arab Mining Company est actionnaire de la SNIM à hauteur de 5,66% des parts.
Plus récemment, les EAU ont pu se faire remarquer en Mauritanie lors de l’inauguration de l’Académie militaire de Nouakchott en 2018. Pour en construire les murs, Abu Dhabi a consenti à un investissement de plus de 8 millions de dollars — aux côtés de la France, de l’Allemagne et de l’Égypte.
L’accord révèle une certaine coopération militaire entre les deux États, que l’État major mauritanien a marqué en 2020 en se rendant dans la capitale émiratie. “Le général de division Mohamed O. Meguett a rencontré son homologue Hamed Mohamed Thani Erramithi”, rapporte le communiqué de Nouakchott, martelant que “la Mauritanie et les Emirats entretiennent de solides relations qui se sont consolidées ces dernières années, notamment dans le domaine sécuritaire et militaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme”.
Mais… pourquoi ?
Oui, pourquoi les Émirats Arabes Unis, un des pays les plus attractifs au monde, s’intéresse-t-il tant à la lointaine Mauritanie, de 500 milliards de dollars de PIB son cadet ? La réponse tient avant tout en un mot : “diversification”, soutient Mohamed Badine El Yattioui, expert marocain en relations internationales et professeur d’études stratégiques au Collège de défense nationale des Emirats arabes unis, à Abu Dhabi.
D’abord, “la Mauritanie est un pays qui regorge de ressources naturelles”, déclare-t-il. Le fer par milliards de tonnes dans la région de Zouerate, les gisements d’or dans la région de Tasiast et l’exploitation de cuivre dans la région de l’Inchiri placent Nouakchott sur la carte des États miniers stratégiques. Mais en plus des richesses de la terre, les hydrocarbures prospectés en mer attisent l’intérêt des EAU.
C’est notamment le cas du gaz, dont les gisements prometteurs découverts au large des côtes mauritano-sénégalaises commencent seulement à être exploitées. Dans ce sens, le professeur note qu’au vu des perspectives et du faible PIB mauritanien, il a été “assez facile” pour Abu Dhabi et son fonds souverain d’y projeter des intérêts, même si “2 milliards de dollars, ce qui équivaut à 40% du PIB de Nouakchott, cela reste une somme très importante, même pour les Emiratis”, insiste-t-il.
Source:Telquel-Maroc