Me Yarba Ahmed Saleh : « Au regard du droit, la détention d’Aziz est incontestablement régulière » – ENTRETIEN
Me Yarba Ahmed Saleh est l’un des ténors du barreau mauritanien, membre du collectif de défense de l’Etat, partie civile dans l’affaire dite « Corruption de la décennie ».
Le Calame – Depuis quelques temps, on assiste à des querelles sur l’état de santé de l’ancien président Aziz dont le procès connaît des suspensions, des contestations de ses conseils. Dans une interview accordée à notre journal, vous aviez affirmé que vos confrères de la défense cherchent à gagner du temps. Avez-vous toujours ce sentiment ? Jusqu’à quand cela pourrait-il durer ?
Me Yarba Ahmed Salah: Seuls les médecins peuvent se prononcer avec une certitude bien évidemment relative sur l’état de santé d’un patient. Un collège de quatre médecins dont deux éminents cardiologies a rendu visite à Monsieur Aziz et a établi un rapport dans lequel les praticiens ont confirmé qu’il peut bien assister aux audiences du tribunal. Pour le reste, chacun a ses difficultés de santé, surtout au-delà d’un certain âge.
Par rapport à l’attitude de ses avocats ou la ligne de défense qu’ils se sont choisie, ils n’ont cessé de développer la stratégie classique « cherchons à gagner du temps et à faire du surplace ». Je ne peux pas vous dire pourquoi.
Les conseils de l’ancien président déclarent que l’état de santé de leur client ne lui permet pas de soutenir les débats, qu’il faudrait l’évacuer à l’étranger pour des soins. Diriez-vous que c’est une autre diversion ?
Je vous ai déjà fait part de l’avis donné par les médecins sur cette question.
En tout état de cause, l’impression donnée par l’accusé au cours de ces deux derniers jours corrobore bien cette opinion. Il est resté et il a non seulement participé aux débats mais il a croisé le fer avec le parquet et avec certains de mes confrères, avocats de la partie civile.
Les avocats de l’ancien président et ses proches trouvent que sa détention est « arbitraire » parce qu’il a interjeté appel de la décision rendue à ses dépens par la Cour criminelle ? Qu’en pensez-vous?
Au regard du droit, la détention d’une personne condamnée en première instance à une peine d’emprisonnement ferme et qui était en détention préventive au moment de la tenue du procès en première instance – comme tel est en l’occurrence le cas de Monsieur Aziz -, est incontestablement régulière. Seule la Cour d’Appel mettre fin à cette détention.
Soutenir le contraire relève pour un professionnel du droit de la mauvaise foi ou d’un regrettable déficit de formation ; la parentèle de l’accusé a peut-être été induite en erreur par des avis qui leur ont été donnés, avec légèreté, sous forme d’ordre politique à répéter.
L’ancien président invoquait l’article 93 de la constitution pour réfuter son arrestation et son jugement. Cet argument ne tient pas la route ?
Vous savez chaque plaideur peut interpréter à sa guise un texte dans le sens qu’il voudra bien lui donner mais la lecture effective d’un texte est celle qu’en fait le juge. Personne ne peut se prévaloir valablement de l’interprétation qu’il donne lui ou son avocat à un texte de loi ou de règlement.
Les juridictions mauritaniennes, à tous les échelons de la hiérarchie judiciaire– juge d’instruction, chambre d’accusation (Cour d’Appel) et Cour suprême-, se sont prononcées sur la question et ont décidé que l’article 93 ne confère pas à un ancien Président de la République une immunité le mettant à l’abri d’être jugé pour des faits qualifiés de crimes et délits de corruption qu’il a commis.
Après le prononcé par la Cour Constitutionnelle, saisie par l’ancien président à propos de l’article 2 de la loi sur la Corruption, un de ses conseils a déclaré : « nous sommes face à un déni de justice ». Qu’en pensez-vous ? Pouvez-vous expliquer aux profanes le prononcé du Conseil Constitutionnel et la réaction de vos confrères de la défense de l’ancien président ?
Je ne suis pas un bon pédagogue, je l’avoue.
Mais sommairement, le recours devant le Conseil constitutionnel tendait à voir cette juridiction affirmer qu’une disposition de l’article 2 de la loi 2016 dite loi sur la corruption est contraire à la constitution en ce qu’elle a donné au président de la République la qualité d’agent public le rendant ainsi passible de cette loi.
Par rapport au déni de justice, il se définit simplement comme étant le refus pour une juridiction compétente de juger une affaire qui lui est soumise.
Dans le cas d’espèce, l’emploi de cette expression ne se justifie guère.
Le déni en arabe se traduisant par ‘’Noukran’’ نكران, certains de nos confrères, avocats de Monsieur Aziz, ont peut-être trouvé le mot chantant et l’ont utilisé à volonté pour faire bonne impression devant les media que certains parmi eux affectionnent.
Je n’ai pas trouvé une explication à l’emploi de cette formule autre que celle fantaisiste que je viens de vous donner.
Comprenez-vous pourquoi l’ancien président a refusé de recevoir la délégation de la CNDH, venue s’enquérir de son état de santé ?
Je ne savais pas que l’accusé a refusé de recevoir une délégation de la CNDH.
Mais comme tout homme, il a ses calculs son humeur, son tempérament, ses appréhensions, ses suspicions. Je ne cherche pas à juger ses comportements personnels.
Pouvez-vous nous dire où en est l’état de la traque des biens mal acquis et logés à l’étranger?
Comme vous le savez une partie de ces biens est déjà sous séquestre en Mauritanie.
Comme dans des situations analogues, l’accusé a certainement pu mettre loin des regards de la justice une partie non négligeable de ces biens.
Par rapport à la situation du patrimoine de l’accusé à l’étranger, la traque de ses biens mal acquis devra se faire patiemment par les moyens de droit ; la mise en œuvre des conventions internationales de lutte contre la corruption facilitera certainement cette traque.
Source:Le Calame-Mauritanie