BAD: de quelle couleur est donc le développement ?
Encore combien de décennies, pour que les peuples africains réalisent à quoi peut bien ressembler cette grande promesse des indépendances ? C’est là une question qui devrait préoccuper davantage la BAD, au moment où son président depuis dix ans s’en va, tout fier de son bilan, et que l’on vient d’élire son successeur pour les cinq prochaines années.
Sidi Ould Tah, ex-grand argentier de la Mauritanie, élu, cette semaine, président de la Banque africaine de développement (BAD), prendra fonctions en septembre prochain. Vous évoquiez ici, la semaine dernière, cette élection avec d’infinies précautions. Le résultat vous paraît-il rassurant pour l’Afrique ?
À présent que la messe est dite, on peut, non pas questionner les aptitudes et les éventuelles lacunes de certains prétendants, mais juste s’étonner que tel candidat d’Afrique centrale, pris en flagrant délit de népotisme dans des fonctions antérieures, ait pu aspirer à ce poste qui requiert impartialité, doigté et sens de l’intérêt général. Pour l’Afrique, c’est un véritable drame que de devoir subir les élites qui traînent d’institution en institution leurs tares et leurs échecs personnels.
À la BAD, les problèmes sensibles que l’on retrouve dans la plupart des pays africains sont multipliés par cinquante. On ne peut donc la livrer à une élite capable de privilégier la médiocrité d’une culture de clan au sort d’un milliard et demi d’Africains. Ce n’est pas nécessairement le meilleur candidat qui l’emporte. Mais le niveau général est d’ordinaire suffisamment bon pour qu’un candidat qui a franchi l’étape de la pré-sélection puisse théoriquement diriger cette banque, où les compétences internes sont d’ailleurs telles que l’institution peut tourner normalement, sans président. En ces temps de déficit de respectabilité pour l’Afrique, le président dont a urgemment besoin la BAD est un leader d’envergure, capable d’imagination, de créativité, de vision, pour soustraire l’Afrique aux préjugés imbéciles dans lesquels l’enferment encore trop souvent certains.
Quels sont donc ces préjugés ?
Tel suggère, par exemple, que les difficultés de l’Afrique à se nourrir résultent de l’incapacité du paysan africain à travailler comme les autres. En oubliant que sous le chaud soleil, le paysan africain, avec sa houe rudimentaire, déploie parfois cinq fois plus d’énergie de ses muscles que les autres qui, eux, ont des engins agricoles mécanisés pour labourer leurs terres scientifiquement irriguées. Le paysan africain n’est pas paresseux, mais juste mal équipé. La BAD et les banques sous-régionales de développement devraient, en premier, trouver à tous des solutions, y compris coopératives, pour que la force de travail du paysan africain soit mieux utilisée.
Les artisans du continent qui subissent des délestages intempestifs d’électricité amputant gravement leur productivité ne sont pas plus des fainéants. L’éducation, la santé et tant d’autres secteurs qui portent les conditions déterminantes de ce que l’on appelle le développement peuvent s’améliorer, avec une BAD plus proche des préoccupations de tous. Cela n’enlève rien à l’incurie de certains gouvernements, incapables, parfois, de simplement constituer des dossiers crédibles pour accéder aux financements disponibles.
Où sont donc les certitudes d’espérance ?
Taïwan, Singapour, Hong Kong et la Corée du Sud, qui étaient au même stade que les mieux portants des États africains dans les années 1970, disent aujourd’hui du développement : « Mission accomplie ! ». Ils sont passés au stade supérieur ! Le pire serait que les peuples africains en soient toujours à se demander, dans quarante ans, à quoi peut bien ressembler le développement. La crédibilité de la BAD réside plus que jamais dans sa capacité à proposer aux peuples africains des objectifs ambitieux, en précisant comment, par étapes, les atteindre.
Babacar Ndiaye, président de la BAD entre 1985 et 1995, avait conforté la crédibilité l’institution en l’inscrivant durablement dans les notations des grandes agences. Il avait initié la création d’une Banque africaine d’import-export, pour que les États d’Afrique puissent vendre entre eux et hors du continent. Il a poussé à la création d’une table ronde des hommes d’affaires africains, en se promettant de pousser, le moment venu, à la jonction de ces deux entités avec la BAD, dans un objectif précis, qu’aucun de ses successeurs n’a vraiment repris. Sans continuité dans les ambitions, l’Afrique pourrait ainsi végéter encore longtemps. Et tous ces présidents qui prétendent avoir opéré des miracles, parce qu’ils ont simplement bien fait leur travail, convaincront d’autant moins que les peuples du continent ne perçoivent, dans leur quotidien, aucun signe de ces miracles.
Source:RFI-Afrique