[ENTRETIEN] Conclusions du Fmi, restructuration de la dette évoquée par Sonko : Décryptage complet de Dr Assane Beye (Economiste)

Au terme de sa dernière mission au Sénégal, le Fonds monétaire international (Fmi) s’est prononcé sur les agrégats économiques du pays et dévoilé les chiffres sur la dette colossale. Enseignant chercheur à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université de Dakar, le Dr Assane Beye décrypte, dans cet entretien, les principales conclusions du Fmi. Il évoque aussi la question de la restructuration de la dette du pays, évoquée par le premier ministre Ousmane Sonko lors de son «tera meeting».

En parcourant le communiqué final du FMI, au terme de sa dernière mission au Sénégal, quelle est votre impression globale ?

À la lecture du communiqué du FMI, on sent nettement ce message de confiance prudente que le FMI essaie de nous envoyer. Il reconnaît les efforts du nouveau gouvernement en matière de transparence et de discipline budgétaire. Mais, en lisant entre les lignes, on sent bien que le Sénégal continue de payer cette histoire de dette cachée accumulée ces dernières années. Aujourd’hui, les autorités travaillent dans un contexte de méfiance et de surveillance accrue, ce qui ne facilite pas la relance de la machine économique. Bien vrai que le nouveau gouvernement fait des efforts, mais on ne guérit pas d’une prise de confiance à coups de déclarations. Les partenaires attendent qu’on prouve, mois après mois, année après année, que la gestion publique est redevenue exemplaire. Bref, ce communiqué, c’est comme un bulletin de santé : le patient Sénégal va mieux, mais il se remet encore d’une grosse fièvre. Il y a une note de reprise de la croissance. La transparence est le cheval de bataille des nouvelles autorités. Toutefois, il y a un épisode douloureux qui va malheureusement nous suivre encore pendant quelque temps avant d’ouvrir un nouveau chapitre avec le FMI. Ce qui pourrait restaurer la confiance des partenaires.

Pour 2025, le Fmi parle évoque une croissance de 7.9% dont 3.4% pour les hydrocarbures, une inflation à 1,4%, un déficit de 7,8%. Quelle lecture faites vous de ces chiffres?

Les perspectives du FMI sont très encourageantes. Un taux de croissance de 7,9% Un taux d’inflation de 1,4% et un déficit budgétaire de 7,8%. Oui, ce sont des chiffres assez encourageants, mais il faut savoir lire au-delà des apparences. Car une croissance de 7,9%, sur le papier c’est assez spectaculaire, mais lorsqu’on nous dit que presque la moitié vient des hydrocarbures, ça devient compliqué.

Pourquoi ?

Parce que cela veut dire que la partie hors pétrole de l’économie tourne très modestement autour de 3 à 4 %. Donc le vrai défi aujourd’hui c’est de faire en sorte que la croissance générée par le secteur des hydrocarbures, puisse ruisseler vers le secteur agricole, les services, l’emploi des jeunes, bref, que ces revenus pétroliers puissent impacter la vie réelle des populations. Une inflation de 1,4%, c’est une bonne nouvelle pour les ménages. Mais en réalité, s’il n’y a pas suffisamment de croissance générée, ça n’aura aucun impact sur le pouvoir d’achat des ménages et d’investissement. Parce qu’aujourd’hui la réalité est que c’est très compliqué, les revenus semblent stagner, il n’y a pas beaucoup d’activités économiques, il y a beaucoup de secteurs qui souffrent. Le déficit budgétaire aussi est à 7,8%, surtout après les 13,4 % que nous avons connu en 2024. Ça montre un effort de redressement, mais ça reste encore élevé. L’Etat dépense encore beaucoup pour honorer ses dettes et soutenir certains secteurs dont le secteur de l’électricité. Il va falloir trouver un bon équilibre pour soulager les ménages vulnérables et surtout continuer à payer les dettes. Donc oui, on progresse, mais la route est encore longue. Il faut vraiment qu’on arrive à impulser des leviers locaux qui pourront s’assurer de la constance de la croissance, en vue d’une reprise effective de la machine économique.

Le FMI parle désormais d’une dette à hauteur de 132% du Pib. ⁠Quelles conséquences peuvent découler de ce poids de la dette ?

Ce chiffre d’une dette à 132% du PIB est effarant. C’est franchement inquiétant. C’est un poids très lourd qui pèse sur les finances publiques. En termes simples, cela veut dire que pour chaque franc produit dans l’économie, plus d’un franc est déjà engagé dans le remboursement des dettes accumulées. Et l’amortissement prévu en 2026 estimé à plus de 4300 milliards de francs CFA, c’est colossal. C’est à peu près l’équivalent de la masse salariale de tous le secteur public. Autrement dit, avant même d’investir un franc, il faut d’abord payer la facture du passé et c’est ce qui explique la difficulté que les agents économiques rencontrent aujourd’hui au Sénégal.

Quelles en sont les conséquences ?

Les conséquences sont doubles. D’abord sur le budget, l’État doit arbitrer en permanence entre investir pour l’avenir ou rembourser le passé. Donc chaque franc aujourd’hui produit au Sénégal, l’Etat a cet arbitrage à faire entre investir pour l’avenir ou rembourser pour le passé. Ensuite, il y a cet impact sur la croissance. Parce que quand l’Etat emprunte autant, il aspire les ressources du marché financier, ce qui laisse moins de place pour les crédits aux entreprises. Donc c’est ce qu’on appelle en économie : l’effet aspirateur classique d’un endettement excessif. Le FMI, sur ce point, envoie un signal clair : le Sénégal ne peut plus vivre à crédit. Il faut désormais une stratégie de désendettement très crédible et claire. Je crois que les autorités ont aussi fait des efforts dans ce sens. Nous avons vu le communiqué publié en milieu de semaine qui montre le cap, là où nous souhaitons aller en 2028. Mais, entre-temps, ça risque d’être un peu difficile pour les ménages.

⁠Quelles conséquences peut avoir cette prolongation des débats entre le FMI et le Sénégal quant à la signature d’un nouvel accord ?

Cette prolongation des débats n’est pas une bonne nouvelle. Parce qu’en pratique, cela veut dire moins de visibilité pour les investisseurs, plus de méfiance sur les marchés financiers et donc un coût de financement très élevé pour l’État. Que les autorités l’acceptent ou pas, c’est un manque de crédibilité. Tant que le pays est sous-programme, il bénéficie d’un tampon de confiance auprès des bailleurs. Donc retarder cet accord, c’est retarder la confiance des bailleurs. Le gouvernement a vraiment intérêt à conclure très rapidement un accord tout en s’assurant que ce nouvel accord reflétera ses priorités économiques, sociales et productives. Surtout productives, parce qu’aujourd’hui, l’autre défi aussi, c’est vraiment le chômage qui gangrène l’économie.

Le Fmi estime que les autorités sénégalaises doivent être félicitées pour leur engagement en faveur de la transparence, de la discipline budgétaire etc. C’est votre avis ?

C’est un avis que je partage globalement. Mais il faut quand même nuancer. Parce que si le FMI était réellement convaincu par ces résultats du Sénégal, rien ne l’empêche d’amorcer un nouveau programme avec le nouveau gouvernement. Mais il reste encore très prudent. Parce que cette histoire de dette cachée, c’est quelque chose qui effraie, en tout cas, le Fmi qui veut avoir toutes les garanties avant de s’engager. Pour le gouvernement, il aurait été très important d’avoir cet accord dans le contexte actuel, avoir toutes les informations sur un nouveau programme avec le FMI afin de les intégrer dans le budget 2026. La situation reste très compliquée. Le FMI insiste sur la rigueur et c’est légitime, mais il faut veiller à ce que la cure d’austérité ne devienne pas une cure d’anémie. En laissant le Sénégal naviguer entre dette à payer et pression sociale, ça risque vraiment d’être très compliqué pour les ménages en 2026. Je crois que maintenant, toutes les deux parties ont compris. Il y a un gouvernement qui était là, qui a fait des choses pas catholiques, le nouveau gouvernement a envie de travailler, de relever les défis. Je crois que le FMI gagnerait aussi à être plus flexible et à accompagner le gouvernement dans sa quête de transparence.

Samedi le premier ministre a révélé que le Fmi leur propose une restructuration de la dette. Il a cependant averti que le pays serait, dans ce cas, considéré, comme étant «en défaut», donc «un pays en faillite» et n’aura plus accès aux marchés financiers internationaux et cie. ⁠Est-ce le scénario que risque le Sénégal ?

La restructuration de la dette n’est pas automatiquement synonyme de défaut de paiement ou de pays en faillite. Des pays l’ont expérimentée et avec succès. On peut citer la Jamaïque au début des années 2010. Il y a l’Uruguay ou même récemment le Kenya. Donc ce sont des pratiques que des pays en difficulté peuvent utiliser. Mais le plus important c’est que les créanciers ne subissent pas de dommages. Que leur principal ne soit pas touché, que les intérêts aussi ne soient pas réduits. Souvent, la restructuration est tentée avant qu’un défaut effectif n’arrive, justement pour éviter une crise plus coûteuse. C’est que, dans la pratique, l’annonce d’une restructuration peut affecter temporairement l’accès aux marchés financiers, surtout si les termes imposent une perte pour certains créanciers. Mais y-a-t-il réellement une différence entre une déstructuration de la dette et ce que nous faisons actuellement ? Puisque de plus en plus, il se dit que nous nous endettons pour payer ces dettes.

Y-a-t-il possibilité d’éviter la restructuration de la dette ?

Alors, la réalité est là. Quand on est dans un pays où la dette est très lourde et que les amortissements à court terme sont massifs, avec une croissance qui est là, mais extravertie vers des secteurs intensifs en capital et pas en main-d’œuvre. Donc on ne crée pas, derrière, des revenus à distribuer aux populations. Donc, éviter ce genre d’opérations n’est pas garanti. Maintenant, oui, j’ose espérer qu’on peut l’éviter. La recette c’est de combiner discipline budgétaire avec des recettes nouvelles. Je crois que c’est la direction que nos autorités ont prise. Maintenant, ce petit plus qui manque au puzzle, c’est l’appui concessionnel du FMI qui redonnerait plus de confiance aux partenaires et aux marchés financiers.
Source:Seneweb-Sénégal

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