Algérie-Maroc : le facteur de risque Trump

L’International Crisis Group craint que le retour de Trump n’aggrave la situation entre Alger et Rabat et ne transforme les tensions en conflit ouvert.

Les conclusions du rapport de l’International Crisis Group sur les relations entre l’Algérie et le Maroc qui est rendu public indiquent que les risques d’un conflit entre les deux pays pourraient augmenter à la suite de l’élection de Donald Trump.

Temps de lecture : 6 min Ajouter à mes favoris Google News Commenter Partager Le réputé think tank américain International Crisis Group prévient, dans son dernier rapport daté du 29 novembre, contre les risques d’escalades, y compris militaires, entre l’Algérie et le Maroc, notamment dans le contexte du retour à la Maison-Blanche du président Donald Trump.

« La retenue mutuelle et la pression américaine ont contribué à contenir les tensions entre les deux pays, mais une escalade des pressions pourrait mettre à mal le statu quo », note l’ICG à l’entame de son étude, citant quatre facteurs : « une course bilatérale aux armements, la propagation de fausses informations en ligne, une montée du militantisme chez les jeunes du Front Polisario pro-indépendance du Sahara occidental et le changement d’administration américaine ».

Le rapport décortique ce dernier facteur, rappelant la position de l’administration du président sortant Joe Biden sur le dossier algéro-marocain. L’ICG rappelle que lorsque le président Biden est entré à la Maison-Blanche en janvier 2021, « son administration a hérité de la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental de Donald Trump ».

« Plutôt que de lutter contre cet héritage [ce qui aurait tendu les relations avec le Maroc et Israël], l’administration Biden a soigneusement réajusté la position de Washington pour éviter toute référence à la souveraineté marocaine », poursuit le rapport, rappelant que, jusqu’à présent, « Washington n’a pas tenu la promesse de Trump d’ouvrir un consulat américain à Dakhla [dans les territoires du Sahara occidental contrôlés par le Maroc] ».

« Exercice d’ambiguïté »

De plus, dans ses éléments de langage, l’administration Biden a également abandonné la référence au plan d’autonomie comme « seule base » pour résoudre le conflit, le qualifiant plutôt d’« approche potentielle » pour régler le différend. Cette administration a aussi concentré ses efforts pour la nomination du nouvel envoyé de l’ONU pour le Sahara occidental, Staffan de Mistura, qui a pris ses fonctions en novembre 2021. « Après avoir contribué à sa mise en place, Washington s’est attaché à renouveler son engagement avec l’Algérie et le Maroc pour tenter de contenir les tensions bilatérales croissantes. »

« Cet exercice d’ambiguïté semble avoir pour but d’apaiser l’Algérie et le Polisario, mais sans provoquer la colère du Maroc en inversant l’action de Trump », note le rapport.

Washington a tenté de jouer un équilibrisme assez périlleux. L’approche des États-Unis sous Biden consistait à « investir délibérément à la fois en Algérie et au Maroc », explique à l’ICG un diplomate américain. « Nous cherchons des moyens d’apaiser les tensions, car les conditions ne sont pas encore mûres pour faciliter une amélioration de leurs relations », poursuit le diplomate.

Il s’agirait donc de poursuivre deux objectifs contradictoires : « Rétablir la confiance avec l’Algérie et le Polisario, qui avait été mise à mal par la reconnaissance par Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, tout en maintenant les liens traditionnellement forts des États-Unis avec le Maroc. »

Washington a également joué de son poids pour pousser Alger et Rabat à la retenue. L’ICG rapporte que des responsables américains ont fait pression sur l’Algérie pour convaincre le Polisario de lever le blocus des postes de la MINURSO [mission de paix de l’ONU] qui menaçait de se retirer si elle ne disposait plus de ses réserves de carburant et de nourriture.

Le blocus était consécutif à une frappe de drone marocaine présumée, en août 2022, visant un camion du Polisario transportant de l’eau vers les postes de la MINURSO dans la zone tampon. La MINURSO avait averti que si la situation de blocus perdurait elle pourrait se retirer.

Tensions

L’ambassadeur de Rabat à l’ONU, Omar Hilale, avait réagi en affirmant que si la MINURSO devait se dissoudre, le Maroc « aurait le droit de récupérer la partie du Sahara qui a été cédée [par le Maroc] à la MINURSO ». « Dans ce scénario, les troupes marocaines prendraient position le long de la frontière entre le Sahara occidental et l’Algérie, près de Tindouf, où se trouvent des camps de réfugiés sahraouis en Algérie, où vivent environ 173 000 réfugiés. Là, elles seraient exposées aux attaques du Polisario depuis le territoire algérien, ce qui pourrait à son tour inciter Rabat à invoquer un droit de poursuite et qui pourrait conduire à des affrontements entre les troupes algériennes et marocaines. »

Ces risques ont poussé Washington à « faire pression sur l’Algérie pour convaincre le Polisario de lever le blocus des postes de la MINURSO ».

De fait, et tout au long de la période 2022-2024, plusieurs incidents ou attaques se sont produits entre les Forces royales marocaines et le Polisario. La retenue d’Alger et de Rabat et les pressions de Washington semblent avoir évité le pire.

« En décembre 2023, Washington a envoyé le secrétaire d’État adjoint Joshua Harris à Alger et à Rabat, où il a délivré un message qu’un diplomate américain a résumé ainsi : “Veuillez vous calmer, vous devez éviter une escalade” », souligne l’ICG. « L’escalade sur le terrain et l’intensification du conflit militaire sont assez alarmantes et nous éloigneront encore plus de la solution politique dont nous avons désespérément besoin », s’était inquiété Joshua Harris lors de son passage à Alger.

De même Harris, en septembre 2023, avait rencontré des responsables du Polisario à Tindouf en Algérie, les encourageant à dialoguer avec de Mistura et à relancer les négociations. « Il semble que ce soit la première fois qu’un responsable américain de ce rang consulte le Polisario sur la situation politique à Tindouf, car par le passé les responsables américains ne discutaient normalement que de questions humanitaires lors de leurs visites », note l’ICG.

« Washington a évité de définir les termes de nouveaux pourparlers, laissant cette tâche à l’envoyé de l’ONU. Le calcul semblait être que la reprise des négociations serait un moyen peu coûteux de gérer les tensions entre le Maroc, le Polisario et l’Algérie. »

Ces « ouvertures » et ces tentatives de pousser à la retenue survivront-elles à l’arrivée de Trump au pouvoir ? « La prochaine administration pourrait à nouveau jouer un rôle perturbateur, même si l’on ignore encore quels plans (le cas échéant) l’équipe de Trump a pour l’Afrique du Nord. Si elle choisit de soutenir plus ouvertement le Maroc contre l’Algérie ou de travailler par l’intermédiaire de l’ONU pour mettre fin à la MINURSO, elle pourrait provoquer davantage de frictions dans la région. Mais même si elle opte pour une approche non-interventionniste, le statu quo entre les deux pays pourrait encore devenir plus fragile, car aucun acteur extérieur ne travaillera à le consolider », craint l’ICG.

Pour les auteurs du rapport, l’Europe a un rôle central à jouer pour compenser la politique de Trump. L’Union européenne pourrait ainsi jouer « un rôle plus équilibré », en « transmettant des messages apaisants aux deux parties et en se préparant à intervenir lorsque les incidents menacent de s’aggraver ». L’ICG avance, notamment, la proposition de créer, par l’UE, un groupe de contact ou un autre mécanisme de coordination dans ce cadre.
Source:Le Point-France

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