Gestion de la migration illégale : Ne pas jouer avec le feu !
Les autorités mauritaniennes ont entrepris depuis quelques jours une campagne d’expulsion de migrants illégaux, notamment des Sénégalais, des Maliens, des Guinéens et de Gambiens. Une opération qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine vers l’Europe, via la Mauritanie, où des réseaux de passeurs auraient pignon sur rue.
Dans le fond, rien de plus normal : un pays a le droit – et même le devoir – de contrôler l’entrée et l’établissement des étrangers sur son territoire, encore plus si ces étrangers sont susceptibles de commettre des actes illégaux, notamment en voulant se rendre en Europe de manière clandestine.
Ce qu’on peut déplorer, par contre, c’est la méthode. Certains agents des forces de l’ordre, avec le zèle qui peut les caractériser, ce sont adonnés à des actes qui n’honorent pas leur métier, qui est d’assurer la sécurité des citoyens et des étrangers vivant parmi nous.
Au contraire, profitant de la situation, certains étrangers en passe d’être expulsés, se sont vus dépouillés de tous leurs biens : argent, téléphones, objets de valeurs… avant d’être parqués comme des animaux dans des endroits qui ressemblent plus à des porcheries qu’à des «Centres de rétention pour migrants».
Il n’en fallait pas plus – les réseaux sociaux aidant – pour que les populations des pays concernés réagissent et exigent un traitement humain de leurs congénères ; certains appelant même à la réciprocité, mettant en danger la quiétude des nombreux ressortissants mauritaniens en Afrique de l’Ouest. De leur côté, les autorités des pays concernés ont dépêché des missions diplomatiques pour tenter de trouver une issue à cette situation.
En sachant que les évènements de 1989 avaient débuté par des incidents plus ou moins similaires, quelles peuvent être les conséquences d’une telle situation si la Mauritanie persiste à traiter ainsi les ressortissants des pays voisins ? Quelles sont les mesures d’apaisement qui doivent être entreprises pour désamorcer la tension ?
Tensions à la frontière avec le Mali
Déjà, le passage entre la Mauritanie et le Mali via le point de passage de Gougui Zamal, qui est le principal point de transit pour les transports terrestres et le fret entre les deux pays, a été interrompu après les événements survenus dans la région samedi. En effet, selon plusieurs sources, environ 50 bus se trouvent du côté mauritanien, attendant de traverser vers le territoire malien, tandis qu’il y a entre 20 et 30 bus du côté malien, qui se dirigeaient vers la Mauritanie.
Samedi dernier, un groupe de migrants maliens a pénétré un point de contrôle de la police mauritanienne près du poste-frontière situé dans la région de l’Hodh El Gharbi, et a mis le feu à un abri que la police utilisait comme point de contrôle, a saisi des téléphones des policiers et a scandé des slogans, affirmant que les autorités mauritaniennes avaient saisi certains de leurs biens et ne les leur avaient pas rendus.
Des éléments de la gendarmerie nationale mauritanienne sont intervenus pour maîtriser la situation et contribuer à contrôler les manifestations. Même si l’ambassadeur de la Mauritanie au Mali, M. Cheikhna Ould Nenni a affirmé que «la situation est en voie de règlement», ces incidents démontrent la volatilité de la situation qui doit être gérée de manière à éviter un embrasement plus général.
Conséquences possibles
L’expulsion brutale des migrants illégaux, surtout si elle est perçue comme une violation des droits humains, risque de détériorer les relations diplomatiques entre la Mauritanie et les pays d’origine de ces migrants. La communauté internationale pourrait également dénoncer ces actions, ce qui pourrait nuire à l’image de la Mauritanie.
Les réseaux sociaux jouent un rôle majeur aujourd’hui dans la diffusion de l’information. Des témoignages sur des abus ou des traitements inhumains peuvent enflammer les passions et inciter les populations concernées à prendre des mesures de réciprocité, ce qui pourrait entraîner une série de représailles et créer une spirale de violence.
Des tensions exacerbées pourraient donner lieu à des violences intercommunautaires, en particulier si des ressortissants mauritaniens sont pris pour cibles dans les pays voisins.
De plus, une rupture dans les relations pourrait affecter la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et d’autres enjeux régionaux cruciaux. Les relations économiques entre la Mauritanie et ses voisins pourraient également souffrir, notamment dans des secteurs tels que le commerce transfrontalier et les investissements.
Mesures d’apaisement nécessaires
Il est important que la Mauritanie adopte des mécanismes transparents et respectueux des droits humains pour traiter les migrants illégaux, en offrant des alternatives à l’expulsion brutale. Un processus de régularisation, avec des délais raisonnables pour que les migrants puissent sortir du pays de manière organisée, serait préférable.
La Mauritanie doit engager des discussions directes avec les pays concernés, en particulier le Sénégal, le Mali, la Guinée et la Gambie. Les gouvernements de ces pays devraient être consultés pour trouver une solution concertée qui respecte la souveraineté de chaque État tout en garantissant la protection des droits des migrants.
Les autorités mauritaniennes doivent veiller à ce que les migrants expulsés soient traités avec dignité, en veillant à la sécurité de leurs biens et à leur bien-être dans les centres de rétention. L’isolement des migrants dans des conditions dégradantes pourrait amplifier les tensions et donner un argument aux critiques.
La Mauritanie pourrait aussi lancer une campagne de sensibilisation auprès de ses citoyens et des ressortissants des pays voisins sur l’importance du respect des droits humains et de la coopération régionale. Une telle initiative permettrait de diminuer les tensions sur le terrain et de renforcer la compréhension mutuelle.
Pour éviter d’envenimer la situation, des compensations ou des réparations pour les victimes d’abus pourraient être envisagées. Ces mesures symboliques permettraient de montrer l’engagement de la Mauritanie à restaurer les relations de bon voisinage.
En cas de tensions importantes, la Mauritanie pourrait faire appel à des médiateurs internationaux ou des organisations comme l’ONU ou l’Union africaine pour faciliter les négociations et éviter que la situation ne dégénère.
Cette situation, en effet, peut avoir de lourdes conséquences si elle n’est pas gérée avec une attention particulière à la diplomatie et aux droits humains. Les événements de 1989, marqués par des expulsions massives de ressortissants sénégalais et la déportation de dizaines de milliers de Mauritaniens, avaient eu des répercussions durables sur les relations entre la Mauritanie et ses voisins et sur la cohésion nationale en Mauritanie.
Le contexte actuel pourrait potentiellement raviver des tensions, voire exacerber des conflits, si des mesures adéquates ne sont pas prises rapidement. Il est impératif donc que la Mauritanie prenne conscience de la gravité de la situation et fasse un effort sincère pour résoudre cette crise de manière diplomatique et humanitaire. En agissant avec prudence et en mettant en œuvre des mesures d’apaisement, il est possible d’éviter que la situation ne se transforme en un conflit régional plus large.
Source:L’Éveil Hebdo-Maurtanie