Des familles mauritaniennes tentent de reconstruire leur vie entre inondations et sécheresse
Par un après-midi d’octobre humide à Woumpou, Kadia regarde l’endroit où se trouvait autrefois son jardin. Autour d’elle, le sol est encore gorgé d’eau et l’air est chargé d’une odeur mouillée. Elle montre une ligne sombre le long des murs de ses voisins, la marque laissée par les inondations que personne n’avait anticipées. Les familles n’ont eu que quelques minutes pour s’échapper avant que l’eau n’engloutisse tout.
« Tout s’est passé si vite », dit-elle. « Nous avons tout perdu en quelques heures. »
Kadia fait partie des plus de 4 500 personnes touchées par les inondations d’octobre 2024 dans la région de Guidimakha, qui ont fait plus de 600 déplacés. Et en regardant les dégâts, elle ne s’est pas sentie accablée que par le désespoir, mais aussi par cette question : et maintenant, quoi ?
Cette question, et la manière dont les communautés mauritaniennes y répondent, est la seule qui compte vraiment. Elles ont tout perdu, et tout a changé. Maintenant, elles vont devoir apprendre à vivre dans un monde en mutation.
La Mauritanie est située à la lisière du désert du Sahara, où la vie a toujours relevé d’un équilibre délicat entre les populations et leur environnement fragile. Près de 80 % du pays est constitué de terres arides, et cet équilibre est mis à rude épreuve par l’accélération des chocs climatiques. Les saisons des pluies sont de plus en plus imprévisibles, parfois sans pluie du tout, parfois inondant tout.
À mesure que les températures augmentent et que la pluviométrie oscille, les sécheresses s’installent, les inondations submergent tout sans prévenir et les sols s’érodent davantage à cause du vent et de la surexploitation. Dans des régions comme Guidimakha et Hodh el Chargui, le bétail meurt de faim, les récoltes sont mauvaises, les ressources en eau s’amenuisent et les pâturages dont les familles dépendent depuis des générations disparaissent progressivement.
Pour beaucoup, il n’y a qu’une seule option : partir. Dans toute la Mauritanie, la migration climatique est devenue un moyen de survie. Les familles se déplacent d’un village à l’autre, tandis que les éleveurs et les jeunes traversent les frontières à la recherche de travail, d’eau et de stabilité. Partir est souvent la solution la plus sensée, parfois même la seule option possible.
Mais certains ont choisi une voie plus difficile : rester et s’adapter.
À Gouraye, une petite ville près du fleuve Sénégal, Kadia est devenue une source d’inspiration pour sa communauté. Veuve et cheffe de famille dans un pays où ce rôle n’est jamais facile, elle a trouvé un combat qui lui tient à cœur : la solidarité féminine.
Chaque semaine, elles se rassemblent entre femmes pour parler de survie.
« Les saisons ne sont plus les mêmes », explique Kadia. « Parfois, nous attendons la pluie pendant des semaines, puis elle tombe en une seule journée. Quand c’est le cas, nous nous réunissons pour décider comment économiser l’eau, prendre soin de nos potagers et nous préparer à la prochaine tempête. »
Ces conversations ont donné lieu à des actions concrètes. Les femmes de Gouraye ont organisé des coopératives et des groupes d’épargne, une sorte de fonds commun dans lesquels les familles peuvent prendre de l’argent pendant les mois difficiles. Elles ont créé des jardins communautaires et planté des arbres capables de résister aux périodes de sécheresse. Elles ont appris à conserver les aliments, à réutiliser l’eau et à faire durer les ressources. Et elles ont commencé à enseigner ces compétences à leurs filles.
« Avant, nous attendions de l’aide, explique Kadia. Maintenant, nous agissons. »
Ce type d’initiatives est souvent invisible. On n’en parle pas dans les journaux ni dans les rapports, contrairement aux constructions d’infrastructures par exemple. Mais c’est le travail de base de la résilience. Des femmes comme Kadia construisent des réseaux de connaissances et de solidarité qui font beaucoup pour la cohésion des communautés lorsque les systèmes externes échouent. Elles enseignent une autre forme de survie, collective, pratique et ancrée localement.
Dans la même région, Moctar, un agriculteur d’une quarantaine d’années, parcourt son champ, inspectant attentivement les jeunes pousses qui sortent de terre. Sa maison a été détruite lors des inondations d’octobre 2024.
« Lorsque l’eau est arrivée, nous n’avons pas eu le temps de sauver quoi que ce soit », raconte-t-il. « Nous avons tout reconstruit à partir de presque rien. Cette année, je tente à nouveau de planter du millet et des haricots, et j’espère que les pluies seront clémentes. »
Cet espoir n’est pas un optimisme naïf. Moctar expérimente des semences résistantes à la sécheresse, apprend des techniques de restauration des sols et travaille avec ses voisins pour renforcer les digues naturelles contre l’érosion – de petites adaptations pratiques qui peuvent faire la différence entre une récolte et la famine.
« Ces petites actions sont importantes », dit-il. « Lorsque nous travaillons ensemble, lorsque nous prenons soin de la terre, elle nous le rend bien. »
On ressent toute la dignité de cette approche. Moctar n’attend pas d’aide extérieure : il étudie la terre, apprend à connaître son nouveau fonctionnement et cherche à comprendre comment vivre avec elle.
Lorsque Mariam a perdu sa maison dans les inondations, elle pensait également que tout était perdu. Elle s’est retrouvée dans un camp avec d’autres personnes déplacées à Woumpou, des centaines d’autres familles, dont beaucoup étaient aussi désemparées qu’elle. Pourtant Mariam a pris la décision modeste mais radicale d’ouvrir une boutique.
« Quand j’ai perdu ma maison, j’ai eu l’impression que je ne pourrais plus rien faire », dit-elle. « Mais quand nous sommes arrivés ici, j’ai compris que la vie devait continuer. »
C’est une structure modeste, construite avec l’aide des voisins, avec des étagères en bois et un comptoir simple. Dans ce magasin de fortune, elle vend du riz, du savon et de l’huile – des produits de base – mais il représente bien plus. C’est désormais un lieu où les familles déplacées se réunissent, où l’on partage les nouvelles et où l’on prête de l’argent à ceux qui ont connu un mois particulièrement difficile. Mariam est devenue le pilier d’une communauté qui n’existait pas il y a quelques mois.
Son magasin lui rapporte tout juste de quoi payer les fournitures scolaires de ses enfants. Mais il lui redonne un but dans la vie et lui permet, ainsi qu’à des dizaines d’autres personnes, de reprendre un certain contrôle sur leur existence.
« Même si nous avons été contraints de partir, nous ne sommes pas impuissants », dit-elle. « Nous pouvons retrouver de la dignité en nous entraidant. Ce magasin est ma façon de me relever. »
À la suite des inondations dévastatrices d’octobre 2024, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a aidé les familles touchées en leur fournissant une aide à la relocalisation et des kits d’hébergement, afin de les aider à reconstruire des maisons plus sûres.
Pour Kadia, Moctar et Mariam, s’adapter ne signifie pas seulement survivre. Ce qu’ils veulent, c’est reconstruire leur vie et rester unis.
« Nous avons appris à reconstruire différemment », explique Kadia. « À planifier ensemble, à protéger notre village. Les inondations ont emporté nos maisons, mais pas notre détermination. »
Les photographies de cet article ont été prises par Alexander Bee et sont tirées de l’exposition « Climate Footprints: Portraits of Lives and Landscapes in Transition » (Empreintes climatiques : portraits de vies et de paysages en transition), organisée dans le cadre du programme CCMD (Climate Change and Migration Data) de l’OIM, financé par le gouvernement danois. L’exposition est ouverte au public à l’Institut français de Nouakchott, en Mauritanie, et disponible en ligne.
Cet article a été rédigé par Alessandro Lira, responsable sous-régional des médias et de la communication de l’OIM au Danemark.
Source:International Organization For Migration
