Les citoyens réclament du « poisson mauritanien » et la pérennisation de l’approvisionnement du marché national
Dr Sidi El Moctar TALEB HAMME – L’Etablissement dénommé « Société Nationale de Distribution de Poisson (SNDP) » a été créé en 2013 pour donner un nouvel espoir aux Mauritaniens qui avaient déjà vécu l’échec de plusieurs tentatives visant l’introduction du poisson dans leurs habitudes alimentaires.
Il s’est principalement agi de la création de l’Office National pour la Promotion de la Pêche (ONPP) en 1981, de la SPPAM et de la mise en place, en 2006, de Conteneurs frigorifiques de distribution de poisson dans les neuf Moughataas de Nouakchott et le renforcement, plus tard, de ces Conteneurs par l’ouverture de quelques poissonneries dans différents endroits à Nouakchott, à Nouadhibou et à l’intérieur du pays (Voir lien à la fin de l’article.
C’était des actions provisoires devant être suivies, après étude, d’un montage pérenne et plus à même de conduire aux multiples objectifs visés par l’Etat en réponses aux revendications récurrentes des populations et de leurs élus.
L’objectif du programme des poissonneries, était de créer et généraliser les infrastructures nécessaires et de mobiliser les autres moyens requis pour disponibiliser le poisson partout, le stocker et le distribuer dans le strict respect des normes d’hygiène et de salubrité exigées et avec aussi des prix qui tiennent compte des pouvoirs d’achat des foyers les plus démunis parmi les groupes sociaux prioritairement ciblés.
Afin d’assurer à ces poissonneries les quantités de poisson dont elles auraient besoin, le département des pêches avait procédé, en 2008, à l’interdiction de l’exportation de certaines espèces qui se commercialisaient, en majorité, à l’état frais. Cette mesure qui s’était vite avérée trop controversée, avait visé, outre la garantie d’approvisionner le marché national en poisson de grande qualité, la limitation de la fraude en ce qui concerne d’un côté, la nature des espèces et les quantités exportées et de l’autre, les montants des devises rapatriées.
La mesure était alors basée sur un constat selon lequel les prix déclarés à l’exportation pour les groupes de poisson concernés, étaient plus bas que ceux du marché national et des céphalopodes congelés, s’exportaient sous de fausses étiquettes (poisson frais) et d’énormes quantités des poissons démersaux frais, échappaient aux taxes et à l’obligation de rapatriement des devises en s’exportant sous l’emballage de poisson fermenté, salé ou salé-séché.
Suite à l’avortement d’une telle mesure, le Délégué à la surveillance de l’époque avait réussi une solution de compromis avec les propriétaires des navires pélagiques industriels autorisés dans nos eaux consistant à ce que chaque navire cède à l’Etat cinq (5) tonnes de poissons congelés par débarquement.
Le même Délégué avait aussi obtenu du Royaume d’Espagne cinq (5) millions d’Euros qui ont été gérés dans le cadre d’un projet d’équipements et de construction d’infrastructures de génie civil pour des poissonneries. En 2012 et en tant que président de la délégation mauritanienne de négociation du renouvellement du protocole de l’accord de pêche RIM-UE, ce même Délégué avait également fait remplacer la question des 5 tonnes citées plus haut par une redevance en nature égale à 2% de la capture de chaque navire pélagique industriel autorisé. Cette redevance fut généralisée aux navires de mêmes types autorisés dans la ZEEM.
Avec l’avènement de la prolifération des unités industrielles minotières, l’Administration pêche avait constamment tenté – et échoué – de faire participer cette filière à l’ambition nationale de promotion de la consommation de poisson par les Mauritaniens. Avec le temps, le département des pêches s’était finalement fait trouver entre le marteau du lobby de l’industrie minotière alors émergente et l’enclume d’une population qui lève davantage les voix pour réclamer plus de poisson sur le marché. In fine, ce département s’est trouvé contraint de jouer le même jeu auquel se livraient les autres services de l’Etat chargés de la gestion du foncier, des mines, de l’énergie, de l’élevage, bref toutes les institutions étatiques.
Inspiré de l’étude prospective réalisée par le CEMAP avec l’appui financier du PNUD « Mauritanie vision 2030 », j’attire l’attention des pouvoirs publics sur des citoyens qui réclament un ‘’poisson mauritanien’’ et une solution à ‘’comment pérenniser l’approvisionnement de la SNDP en poisson’’ afin qu’elle puisse inscrire son action dans le long terme. Il s’agit notamment de trouver une alternative au système actuel où l’approvisionnement de cette société est totalement tributaire des accords et conventions de pêche avec des étrangers.
A toute fin utile, voici quelques pistes à explorer pour rendre le pays indépendant dans un domaine aussi stratégique que la sécurité alimentaire. La première consiste à procéder à une évaluation des initiatives expérimentées de 1981 à nos jours et à proposer un ensemble de mesures à caractère généralement technique, mais qu’entourent, qu’on le sache, de grands enjeux de tout bord.
L’opération d’évaluation recommandée, ferait certainement découvrir, entre autres, les causes de l’échec de l’Office National pour la Promotion de la Pêche qui a été créé pour les mêmes objectifs et dont le patrimoine avait été, à un moment donné, bradé aux privés de la même manière que les avoirs d’autres projets tels que le Projet Sucre, SMAR, AFARCO, etc. Aussi, cette opération, pourra déboucher sur le besoin d’auditer la SNDP.
A propos, personne ne s’est hasardé, par le passé, à étudier toute la chaine allant de la réception des quantités de poisson cédées par les navires étrangers jusqu’à leurs destinations finales : la quantité devant annuellement être cédée en fonction du nombre des navires actifs, celle effectivement reçue, le niveau des avaries, les quantités distribuées aux populations, les critères, autres que politiques, sur la base desquels se faisait le choix des points de ventes sur l’étendue du territoire national et le niveau de leurs approvisionnements respectifs en produits, etc.
Connaissant le mode actuel très incertain d’approvisionnement de la SNDP et le caractère stratégique de la mission, il est impératif que cette société devienne indépendante de la présence des navires étrangers dans nos eaux à travers la conception et l’application d’un système pérenne, efficace et efficient. Celui-ci devra se définir dans le cadre d’une politique de domiciliation des activités du secteur des pêches. Les fondements d’une telle politique devront être la promotion d’une flotte nationale performante et d’une main d’œuvre mauritanienne qualifiée suffisante ainsi qu’une meilleure valorisation (autre que la « Moka ») des captures réalisées dans la ZEEM et enfin, une répartition du TAC privilégiant progressivement la flotte nationale à reconstruire et promouvoir (CDN-2021).
Dans la pratique, l’Etat devra instituer, mais pour un temps limité, une redevance en nature que tous les navires hauturiers (mauritaniens et étrangers), s’en acquitteront en poissons démersaux. Cette redevance sera fixée en rapport avec le taux autorisé des prises accessoires pour les navires de fond.
Au préalable, il s’impose de résoudre le problème de la flotte hauturière étrangère qui opère actuellement dans nos eaux comme mauritanienne grâce, selon des observateurs, à un système douteux. Celui-ci se résume dans de faux papiers ou des dérogations tacitement payantes et renouvelables à l’infini ; le tout portant sur les actes de naturalisation des navires et l’emploi d’étrangers à bord, surtout en ce qui concerne l’Etat-major.
(A suivre)