AHMED YAHYA, président de la FFRIM à propos de la qualification de la Mauritanie à la CAN : « Nous étions loin et rien du tout dans ce monde du football »

Le Pays – Si le football mauritanien est sorti de l’ombre ces dernières années, c’est bien grâce à un M. du nom de Ahmed Yahya. L’homme qui a révolutionné le football mauritanien et cité en exemple sur le continent, voire, au niveau international.

Armateur est passionné de football, il prend les rênes de la Fédération de football de la république islamique de Mauritanie (FFRIM) en 2011 et depuis lors, c’est un football qui gravit tout doucement des échelons.

C’est ainsi qu’après avoir participé à deux CHAN en 2014 et 2018, les Mourabitounes (NDLR : nom de l’équipe nationale) obtiennent une qualification historique à une CAN, celle d’Egypte 2019. Elégant et pondéré dans ses propos, Ahmed Yahya fait partie des dirigeants du football africain qui ont beaucoup contribué à l’élection du Malgache, Ahmad Ahmad à la présidence de la CAF en 2017 et intègre le comité exécutif de l’instance du football africain.

Ahmed Yahya est également membre de la Commission d’organisation des compétitions de la FIFA. En 2018, lors des CAF Awards à Accra, il est désigné meilleur dirigeant de fédération africaine pour l’année 2017.

Au soir du match de la 6e et dernière journée des éliminatoires de la CAN 2019, remporté par les Etalons (éliminés) devant les Mourabitounes par 1 but à 0, le vendredi 22 mars 2019, nous l’avons rencontré et le président Ahmed Yahya a accepté de s’ouvrir à nous sur les actions entreprises pour le développement du football mauritanien et sur bien d’autres sujets dont l’élimination des Etalons.

« Le Pays » : Vous devez être l’un des dirigeants du football africain les plus heureux et l’une des personnalités dont la côte a davantage grimpé actuellement en Mauritanie depuis cette qualification historique des Mourabitounes pour la CAN 2019.

Ahmed Yahya : Heureux, oui je le suis. La Mauritanie méritait bien ça et c’est tout le monde qui a travaillé pour obtenir ce résultat. Je fais partie des gens qui ont contribué à réaliser cet exploit pour nous, et qui ne l’est pas pour d’autres pays pour qui, se qualifier à une CAN, est devenu naturel. Pour nous, ce sera dans l’avenir parce que nous travaillons pour jeter les bases d’un football solide, pérenne et qui va continuer à progresser.

C’est une première pour la Mauritanie mais, nous préférons garder les pieds sur terre, poursuivre le travail, savoir ce que nous avons réalisé afin de continuer à grandir tout en œuvrant à réussir d’autres exploits beaucoup plus importants.

A quel moment avez-vous cru en cette qualification pendant ces phases éliminatoires ?

J’ai été élu président de la fédération depuis 2011 et avec mon équipe, le soutien de l’Etat, nous avons adopté une stratégie de changer le visage du football mauritanien. Et cela passait par le développement du football local, de la formation, de l’académie, de la fédération elle-même pour qu’elle devienne une institution capable administrativement de gérer un football moderne.

Cette qualification a été planifiée depuis un moment parce que lors des éliminatoires de la CAN 2017, la Mauritanie a frôlé la qualification puisqu’elle était deuxième derrière le Cameroun et devant l’Afrique du Sud. Notre pays a failli réaliser l’exploit de tenir le Cameroun en échec jusqu’à la dernière minute à Yaoundé. Nous voyions cela venir puisque nous étions sur la bonne voie et il fallait bien continuer. Pour ces éliminatoires qui viennent de s’achever, nous n’avions donc pas droit à l’erreur.

C’est une équipe que nous avons construite depuis longtemps et il fallait travailler à ce que cela aboutisse. Et nous avons cru en notre qualification à partir du deuxième match mais, le fait de gagner notre premier match, et de surcroît à l’extérieur, était encourageant. Dans ce groupe, le grand favori était le Burkina Faso mais, à partir du moment où nous avons battu cette équipe lors de la deuxième journée par 2 buts à 0, cela a été réconfortant puisque nous avions six points et encore deux matchs à domicile qu’il fallait bien négocier et deux autres à l’extérieur. Il faut aussi reconnaître que depuis un bon moment, nous ne perdons plus à domicile et c’est déjà bien.

Comment allez-vous vous y prendre maintenant pour que la Mauritanie ne fasse pas de la figuration lors de la phase finale de la CAN dont la réalité est tout autre ? 

Nous sommes tous conscients que la CAN est un autre niveau où ce sont les meilleures équipes qui vont s’y retrouver avec bien évidemment bon nombre de pays qui ont plus d’expérience que la Mauritanie. Nous allons bien nous préparer en mettant toutes les chances de notre côté afin que les joueurs le staff technique soient dans les meilleures conditions possibles.

Nous ferons cela de façon professionnelle et voir ce qui va se passer. Je n’exigerai pas de mes joueurs de gagner les équipes, de se qualifier pour le deuxième tour et autres mais je leur dirai de prendre du plaisir et de défendre crânement les couleurs du pays. L’essentiel pour nous, c’est de faire quelque chose sans qu’il n’y ait de la pression négative ni exiger des joueurs ce qu’ils ne peuvent pas faire.

Maintenant, l’appétit vient en mangeant et peut-être qu’on peut gagner un match ou deux mais, je préfère qu’on aille doucement puisque nous sommes encore la Mauritanie, une petite nation de football. On peut prétendre à faire mieux lorsque nous participerons à bien d’autres CAN.

Quel est votre secret puisque depuis votre arrivée à la tête du football mauritanien, celui-ci réalise de bonnes performances avec deux participations au CHAN (NDLR : 2014 et 2018) et maintenant à la CAN 2019

J’ai plusieurs secrets mais le principal, c’est que je suis un passionné de football qui est ma vie et pour lequel, je donne tout mon temps. Même si je suis d’abord un opérateur économique, j’essaie de gérer les deux activités et le football prend le dessus parce que je lui donne beaucoup de mon temps. L’autre secret, c’est que j’ai une équipe qui se donne à fond, qui croit comme moi aux mêmes objectifs. Un secret en plus, c’est que nous avons eu la chance d’avoir un Etat qui a cru en notre projet et nous soutient depuis le début.

Tout cela a fait en sorte que le peuple mauritanien est aujourd’hui fier de son football et de son équipe. Nous n’avons donc pas le choix que de continuer à travailler. Le plus difficile est derrière nous puisque nous étions loin et rien du tout dans ce monde du football et aujourd’hui, nous commençons à exister. Il suffit d’avoir les pieds sur terre et poursuivre le travail plus qu’avant pour essayer de rattraper le temps perdu et d’être une vraie nation de football.

Comment avez-vous planifié votre politique pour le développement du football mauritanien au niveau local ?

J’ai toujours été convaincu que je ne peux pas réinventer le football ni inventer une politique qui est propre à moi. Les réunions tout comme les matchs de football, nous font voyager beaucoup mais, chaque fois que je vois une nation qui nous a dépassé de quelques décennies dans le domaine du football, j’essaie de savoir comment elle a fait et réussi.

Dès lors, j’essaie de copier les modèles qui nous sont compatibles tout en essayant de bien travailler avec la FIFA qui contribue au développement du football. Aujourd’hui, elle considère notre fédération comme un modèle parce que nous essayons de suivre à la lettre ses programmes de développement. Nous travaillons également en étroite collaboration avec la CAF qui est notre maison mère en Afrique.

La seule stratégie, c’est notre envie de bien faire les choses et d’utiliser les moyens du football uniquement dans le football. Malheureusement, c’est le problème dans beaucoup de pays où les moyens du football sont déviés de leur destination initiale et cela ne pardonne pas. Pour nous en Mauritanie, il était plus facile de commencer de zéro et travailler à grandir.

« On ne peut pas rester grand si on ne travaille pas suffisamment »


Quelle est la place du football des jeunes en Mauritanie ?

Nous sommes l’une des rares nations de l’Afrique de l’Ouest qui a des championnats nationaux réguliers dans toutes les catégories des U13, U15, U17, U20 et il en est de même chez les filles. En plus, nous avons la troisième division au niveau régional, la deuxième division sur le plan national et la première division appelée la Super division.

Les choses commencent à prendre forme, à grandir et la fédération subventionne les clubs pour pouvoir gérer toutes les catégories. Nous avons une direction technique nationale qui fait son travail de formation, de planification et elle est dirigée par un Espagnol qui est avec nous depuis cinq ans. Notre secret, c’est aussi la stabilité dans les différents postes opérationnels que ce soit les staffs techniques des équipes nationales tout comme à la direction technique.

Nous essayons de nous doter d’infrastructures nécessaires et nous sommes une des rares fédérations qui a son propre stade de 9 000 places d’un style anglais où joue l’équipe nationale et qui a été construit par la fédération avec l’aide de la FIFA. Il faut souligner que la Mauritanie a un grand stade qui vient d’être rénové. Nous nous plaisons avec notre stade au sein de la fédération où il y a le centre technique avec plusieurs terrains d’entraînement, une académie.

Et notre fédération est peut-être la seule en Afrique à avoir sa propre chaîne de télévision dans l’enceinte de notre structure qui est sur satellite et c’est elle qui couvre tout le championnat national. Nous sommes conscients que le football est un ensemble.

Et le football féminin ?

Nous avons eu beaucoup de difficultés pour lancer le football féminin parce qu’il y a une spécificité chez nous avec la contrainte religieuse qui empêche les filles d’être comme les hommes. Du coup, il fallait forcer, utiliser les moyens de communication, subir parfois des insultes de certaines personnes qui n’ont pas compris.

Par amour du football, nous avons consenti des efforts, supporter les attaques et le football féminin est devenu une réalité en Mauritanie après avoir été lancé il y a trois ans. Il y a deux championnats de jeunes filles et un championnat de la catégorie des séniors et à partir de cette année, nous avons l’équipe nationale féminine. Actuellement, elle se prépare dans la perspective de participer à un tournoi en Espagne auquel vont prendre part plusieurs nations. Nous venons du néant tout en sachant que cela ne pas être facile.

En tant que membre du comité exécutif de la CAF, pensez-vous que la maison est bien tenue puisqu’on apprend des choses sur sa gestion

Je voudrais rassurer les uns et les autres que la maison du football africain, la CAF, est bien tenue. Il y a des rumeurs qui circulent dans la presse et c’est normal puisque chacun fait son travail et c’est ce qu’on constate également à la FIFA. Nous devons accepter ce qui se dit et s’il y a des erreurs, je n’en passe pas d’ailleurs, ce sont les journalistes et autres investigateurs qui doivent nous remettre dans le droit chemin.

Mais, je peux affirmer que la CAF se porte bien à l’image de son comité exécutif avec un président élu par l’assemblée générale et qui joue bien son rôle en se donnant à fond. Certes, les premières années sont difficiles au lendemain d’un système qui a régné pendant des décennies. Je suis convaincu que le président Ahmad, qui est un frère et que je connais, s’en sort bien. D’ailleurs, la CAF se prépare à organiser sa CAN, la première à 24 nations et c’est un exploit que les gens ont tendance à oublier.

Je dirai à mes frères africains, au lieu de se diviser, nous avons besoin de nous unir, de travailler ensemble pour rattraper le temps perdu parce que le football africain souffre de beaucoup de lacunes par rapport aux autres Confédérations qui sont en train de nous dépasser à travers des programmes de développement impressionnants. Avec ce comité exécutif, je suis convaincu que les choses vont beaucoup avancer.

Que pensez-vous de l’élimination des Etalons de la CAN 2019 ? 

La CAN se joue tous les deux ans et cette élimination du Burkina Faso est un signal afin de rebondir, de se remettre au travail. On ne peut pas rester grand si on ne travaille pas suffisamment. Le Burkina a un grand président de fédération qui est un ami. Nous le connaissons à la CAF pour sa sincérité, son franc-parler et au sein du comité exécutif, il n’accepte pas une décision s’il n’en est pas convaincu.

Il y a certainement des choses qui se sont passées au niveau des joueurs, du staff technique et ont empêché le Burkina Faso de se qualifier. C’est au président de les corriger parce que, des fois, on gagne plus dans les défaites que ce qu’on va perdre dans une victoire.

Propos recueillis par Antoine BATTIONO

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