Mauritanie : « Le président Ghazouani veut montrer qu’il n’est pas prisonnier des réseaux de son prédécesseur »

Selon notre chroniqueur, certains profils du nouveau gouvernement pourraient déplaire à l’ancien chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdelaziz. Chronique.

A la tête de la Mauritanie depuis le jeudi 1er août, Mohamed Ould Ghazouani vient de dévoiler son premier gouvernement ainsi que la composition de son cabinet. Si plusieurs personnalités ont conservé des fonctions de premier rang, la plupart des postes clés sont désormais dans les mains des intimes du nouveau chef de l’Etat. Le profil de certains pourrait même déplaire à l’ancien président Mohamed Ould Abdelaziz, dit « Aziz ».

Si le nouveau premier ministre, Ismaïl Ould Bedde Ould Cheikh Sidiya, a été ministre de l’habitat d’Aziz en 2009 puis brièvement ministre de l’emploi en 2014, il n’avait plus aucune fonction dans l’appareil d’Etat depuis quatre ans.

Sidiya travaillait alors comme consultant à l’étranger, notamment à Djibouti. Aziz ne l’appréciait guère et se serait même opposé à ce qu’il joue un rôle de premier plan lors de la campagne de Ghazouani.

Autre personnalité clivante pour le camp Aziz : le nouveau directeur de cabinet, Mohamed Ahmed Ould Mohamed El Amine. Ce dernier a été ministre de l’intérieur lors de la transition menée entre 2005 et 2007 par Ely Ould Mohamed Vall, le cousin d’Aziz, devenu son ennemi juré.

El Amine a toujours été tenu à l’écart de Nouakchott par Aziz : ambassadeur à Ankara puis à Bamako. Son père est un proche du père de Ghazouani, chef religieux éminemment respecté en Mauritanie.

Un entourage de technocrates

Quant au nouveau ministre de la défense et ex-chef des forces conjointes du G5 Sahel, Hanena Ould Sidi, il a le défaut, pour le clan Aziz, d’être longtemps resté proche de l’ex-président Ely Ould Mohamed Vall, qui l’avait notamment nommé en 2005 patron de la Direction générale de la sécurité extérieure et de la documentation (DGSED). En 2009, devenu président, Aziz l’avait tout de même placé à l’inspection générale des armées.

Son nouveau collègue à l’intérieur, Mohamed Salem Ould Merzoug, a été remis en selle par Ghazouani. Après son passage comme haut-commissaire de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS, à Dakar), chargée notamment des barrages hydroélectriques, Merzoug était revenu en Mauritanie en 2013, avant de devenir chargé de mission à la présidence en 2015 puis conseiller diplomatique du président, sans grande influence.

Quant au ministre de la santé, Mohamed Nedhirou Ould Hamed, il est le neveu de l’ancien président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, déposé en 2008 par le coup d’Etat militaire d’Aziz, alors que ce dernier était encore son chef d’état-major particulier. Le docteur Hamed a vu sa carrière largement stagner sous Aziz.

Pour Ghazouani, toutes ces nominations n’ont pas comme vocation première d’agacer son ancien patron. Le nouveau président a davantage pensé ce gouvernement et ce cabinet à la présidence comme une manière de s’entourer de technocrates – le premier ministre Sidiya, par exemple, est diplômé de Centrale Paris.

Cette volonté de faire monter des proches et d’écarter une partie des membres du noyau dur soutenant Aziz – notamment des caciques de son parti, l’Union pour la république (UPR) – peut cependant servir l’objectif de montrer à la population mauritanienne que Ghazouani n’est pas prisonnier des réseaux de son prédécesseur.

Rompre sans humilier

En bon joueur d’échecs, Ghazouani a tout de même choisi de conserver certains familiers d’Aziz dans son premier gouvernement. C’est le cas par exemple du ministre du pétrole, des mines et de l’énergie, Mohamed Ould Abdel Vetah.

Ce dernier était l’ami d’un des fils d’Aziz, décédé en 2015 lors d’un accident de la route. Vetah est aussi un intime d’Aziz depuis bien longtemps, avant même qu’il ne devienne président. Beaucoup de projets d’envergure sont gérés par ce ministère clé, comme le développement du projet gazier géant de Tortue avec le Sénégal.

Le ministre des affaires étrangères, ex-envoyé spécial de l’ONU au Yémen, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, est également considéré comme un soutien sans faille d’Aziz. Il est notamment l’un des principaux interlocuteurs de la Mauritanie avec le puissant allié saoudien.

Enfin, le couteau suisse de la présidence Aziz – premier ministre, ministre du pétrole, patron de la société minière SNIM et de la société d’électricité Somelec –, Mohamed Salem Ould Béchir, a été parachuté secrétaire général de la présidence.

Si ces trois personnalités sont aujourd’hui à la tête d’importants portefeuilles, il est loin d’être évident qu’elles resteront en place durant tout le quinquennat de Ghazouani, leur loyauté étant davantage tournée vers l’ancien président.

Ghazouani a bien voulu une rupture par l’intermédiaire de certaines nominations fortes, dont certaines ne plairont peut-être pas à son prédécesseur, mais il sait qu’en politique, il est important de ne pas humilier. Surtout celui qui l’a fait roi.

Ce gouvernement ne devrait cependant pas révolutionner la politique menée jusqu’alors. Sur le plan sécuritaire, Ghazouani ne changera pas en profondeur le dispositif de son prédécesseur, qui a porté ses fruits sur le territoire national et dont il est de toute manière en partie co-responsable. En politique étrangère, il pourrait toutefois pacifier ses liens avec certains de ses voisins, comme le Sénégal.

Aziz reprochait souvent au président Macky Sall la présence d’opposants mauritaniens à Dakar, rendant parfois conflictuels les sujets d’intérêts communs comme la pêche ou le gisement de Tortue. Le développement de ce dernier devrait d’ailleurs l’aider à financer de nouveaux projets d’infrastructures, mais le gros des revenus ne devrait pas tomber avant la fin du quinquennat, la production du premier mètre cube étant prévue pour 2021.

Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et Energie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Benjamin Augé 

Source : Le Monde Afrique

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