GSM : Le drame mauritanien. « Gangrène de la Société Mauritanienne. »

Quatre millions et demi d’utilisateurs actifs de la téléphonie mobile en Mauritanie.

Le téléphone, notamment le GSM, est une catastrophe de la société mauritanienne. Un mal silencieux qui détruit les ménages et les individus, l’épargne publique et privée, l’investissement et le développement économique et social. Non pas que le téléphone soit en lui-même une non-nécessité, mais c’est parce que dans les pays sous-développés, c’est un véritable handicap au développement économique et social.

En Mauritanie l’acronyme GSM, ne signifie pas « Global System for Mobile » Communications, mais « Gangrène de la Société Mauritanienne. »

Curieux de penser cela n’est-ce pas ? Eh bien, non.

Le téléphone est bien un facteur de non-développement, on pourra même dire que c’est un frein au développement. N’en déplaise aux économistes qui prônent l’effet d’entrainement que les télécommunications ont sur le développement économique. Ils trouvent leurs raisons dans un argumentaire qui se place dans un environnement socio-économique différent de celui des pays sous-développés.

En effet, s’il est vrai que le développement des télécommunications est un important vecteur de soutien de la croissance par la création de valeur ajoutée, il n’en demeure pas moins qu’il ne l’est pas dans le contexte de nos pays sous-développés. En Mauritanie, c’est même une catastrophe sur le plan macroéconomique et sur le plan micro-économique (voir mon article « L’équation qui empoisonne l’économie mauritanienne »).

En effet, le postulat de départ de “l’économie des télécommunications” est erroné. Il se base sur le fait que l’utilisation des moyens de télécommunication obéît à une rationalité d’un consommateur de type occidental. Et c’est là où le bât blesse.

Autre peuple, autre rationalité

En effet, le consommateur occidental, averti sur son budget, plongé dans une économie individualiste, bien informé sur son environnement économique, maîtrisant son revenu et connaissant les limites de son pouvoir d’achat, intégré ses dépenses du téléphone dans une rationalité consommatrice calculatrice et orientée vers la satisfaction de son besoin de consommation.

Il est dans la répartition de son revenu sur les postes de dépense de son foyer (nutrition, loyer, transport, habillement, santé, loisir, communication) soumis à une conception utilitariste, quasi-benthamienne, qui lui permet d’affecter chaque part de son revenu à un poste de consommation en en tirant une satisfaction lui permettant non seulement de vivre en toute indépendance (esprit individualiste) mais d’en tirer une satisfaction maximum dans les objectifs de vie qu’il s’est assignés.

Dans ce revenu, le poste « communication », entre en concurrence avec tous les autres. Il est approvisionné en fonction d’une volonté dont la rationalité est liée à l’individu. La dépense de communication fait l’objet d’une allocation en fonction d’une appréciation a priori de la dépense précédente (celle du mois précédent par exemple) et d’une évaluation en fonction de la charge attendue (celle du mois suivant qui sera couvert pas le revenu).

Ainsi par exemple, un demandeur d’emploi provisionnera davantage pour le téléphone, car il aura à l’utiliser pour ses contacts. Une mère de famille, employée de bureau soumise à l’horaire administratif, avec enfant en bas âge, provisionnera pour les appels en extra vers la crèche de son enfant ou s’enquérir auprès de sa baby-sitter etc. Tous les cas de figure, sont possibles. Toujours est-il que le budget communication du ménage, n’est pas un montant laissé à l’aléa, mais il est programmé au titre de tous les postes de dépense. Il est augmenté ou réduit en fonction de la variation du niveau de vie, de la planification de vie de l’individu et du ménage (vacances, loisirs, soins etc.).

Ainsi donc la rationalité est orientée vers une maîtrise de la « dépense communication », en fonction d’un besoin de communication. C’est dans ce contexte que la dépense de communication apporte la satisfaction au consommateur et constitue une valeur ajoutée pour son économie et, à travers elle, celle du pays.

C’est dans ce contexte socio-économique d’un consommateur averti disposant d’une rationalité économique soumise à une contrainte de revenu dans laquelle la dépense de communication est programmée en fonction des autres dépenses (santé, loisirs, études etc.) que se situe la réalité de l’idée suivant laquelle le secteur des télécommunications a un effet d’entrainement positif sur l’Economie.

En effet, c’est dans cet esprit de gestion rationnelle de revenu, que la dépense de communication participe au développement. Elle ne supplante ni les autres dépenses vitales (santé, nourriture, habillement, études etc.) pour l’individu ou le ménage, ni ne les grève de façon à les laisser dans l’indigence ou dans l’insatisfaction d’un besoin crucial.

En Mauritanie, la dépense de communication est un facteur certain d’appauvrissement.

L’on a pu consacrer d’importants développements sur la gravité de la situation engendrée par les dépenses de communication sur les ménages mauritaniens, sur leur appauvrissement et la crise du pouvoir d’achat qui les touche.

En effet, l’individu ou le ménage mauritanien n’a pas la rationalité de type occidental. Il vit dans une culture sociale (tribaliste, solidariste, dépendante) qui non seulement encourage le gaspillage mais détruit toute volonté d’indépendance financière.

L’individu mauritanien est un être insouciant et imprévoyant. Son revenu est soumis au pire des aléas. La faiblesse de son revenu, n’est pas contrebalancée par une rationalité dans sa gestion.

Il dépense suivant son humeur, ses penchants du moment et la mentalité dominante. Celle-ci ne voit de l’individu que ses allures d’abondance, allures qu’ils doit maintenir à grands frais. Ainsi, par exemple un individu pourrait renoncer à épargner pour se soigner en contrepartie d’habits neufs chers, pimpants et hors de prix.

Le dandy qui squatte la misère

La rationalité économique du Mauritanien est une rationalité de « m’as-tu-vu ». Du dandy qui squatte la misère.

C’est dans cette culture qui a déjà fort affaibli les capacités de l’individu ou du ménage à se prendre en charge à travers une gestion rationnelle de son revenu, que la charge de la « dépense communication » est venue aggraver la situation.

L’apparition du GSM a été un séisme qui a détruit les dernières capacités financières de ces agents économiques.

Nous avions pu démontrer dans un article précédent comment cette « dépense de communication » a réduit, sinon totalement absorbé la part de revenu que l’agent économique (individu ou ménage) consacrait à ses soins, sa nourriture, ses études, sa culture etc.

Pire, elle a réduit ses capacités d’épargne, le plaçant dans un état d’imprévoyance qui le mettait potentiellement dans une mendicité certaine. Avec tout l’impact que cette “désépargne” avait sur le développement économique et son financement à travers les dépôts publics et l’épargne.

Les télécommunication source de cherté de la vie

On pourra même avancer, sans se tromper, que si la cherté de la vie est due aux facteurs exogènes (prix des denrées et de l’énergie sur les marchés internationaux) et endogènes (spéculation des commerçants mauritaniens), il est certain aussi que cette cherté de la vie est due en grande partie aux faramineuses dépenses en communication que supporte le ménage mauritanien.

Ces dépenses, le privant d’une bonne part de son pouvoir d’achat, notamment d’achat des denrées (nourriture notamment) ou de services (santé, éducation) vitaux, sont responsables de la cherté de la vie.

Illustrons cela de la manière suivante :

Un ménage dispose de 50 000 UM de revenu mensuel et qui utilisait, de ce revenu, 25 000 UM pour sa nourriture.

25 000 UM c’est donc 100 % du poste nourriture et 50% du revenu total

Avec la charge de la dépense de communication, le ménage a affecté 10% de son revenu total à cette dépense. Cela signifie que la part de revenu consacrée au poste nourriture va diminuer de 10 % soit 2 500 UM.

La part consacrée à la nourriture n’est plus que de 22 500 soit 90 % du poste nourriture qui devait lui être consacré et 45 % du revenu total du ménage (sans les dépenses de communication). Le ménage ne pourra donc plus acheter le volume de nourriture qu’auparavant. Son pouvoir d’achat a baissé.

Donc la cherté de la vie est conséquente à cette baisse du pouvoir d’achat. Baisse dont le corolaire n’est autre que la baisse du revenu. Elle est due à la dépense en communication.

Ne pouvant plus satisfaire sa dépense de nourriture, le ménage se dénutrit et sacrifie son développement. Avec ce que cela comporte comme conséquences sur sa santé, son équilibre social etc.

D’où les crises, les indigences et l’éclatement des ménages du fait du poids économique insupportable de la vie en commun.

Mais si l’on a pris l’exemple de 10% du revenu des agents économiques consacré aux dépenses du téléphone, il est certain que l’on est bien en déca de la réalité. Ce pourcentage pouvant grimper de façon vertigineuse en fonction des ménages, du nombre de membres que ce ménage comprend, de leur âge et de leur dépendance à son égard. Situation extrapolable à tous les individus.

Ankylose des agents économiques, baisse du pouvoir d’achat, cherté de la vie, confiscation de l’avenir des agents économiques par l’affectation d’une épargne vitale à des dépenses de communication, qu’a donc apporté la politique des télécommunications de l’Etat à travers l’introduction de ces compagnies du téléphone qui sont en train d’hypothéquer l’avenir des agents économiques et de siphonner les ressources financières nationales.

Quatre millions et demi d’utilisateurs actifs du GSM qu’est-ce que c’est ?

Ce chiffre est supérieur à la population mauritanienne ! Ces 4 millions 566 mille, exactement, sont des « utilisateurs actifs ». L’abonné actif, tel que défini par l’Autorité de régulation (ARE) est celui qui a utilisé le système au moins une fois au cours des six derniers mois.

Un taux de pénétration de 119 % !

Et cette téléphonie gangrène le tissu social mauritanien.

Ainsi en 2018, le « taux de pénétration », calculé sur la base d’une population (en 2018 de 3,9 millions d’habitants selon l’ONS) est de 119 % !

Rappelons qu’un « taux de pénétration » est un indicateur de gestion commerciale qui traduit la proportion de consommateurs ayant acheté un produit sur une période et un marché donnés.

Si l’on suppose que ces 4 millions 566 mille abonnés sont constitués à 60% des ménages identiques à celui cité plus haut (soit 2 739 600 personnes en ménage), c’est-à-dire affectant 10% de leur revenu du poste « nourriture » mensuellement à leur dépense de télécommunication (soit 2500 UM), cela signifie, que les compagnies de télécom reçoivent mensuellement : quasiment 7 milliards d’ouguiyas (6 849 000 000 UM, exactement).

Si ce calcul devait se faire sur une base semestrielle, pour coller à la définition de « l’utilisateur actif », le chiffre deviendra alors sidérant !

Si on ajoute à ce chiffre les non-ménages, le reste des utilisateurs actifs de GSM on comprend la dimension de la catastrophe sur le revenu de la population et l’indigence économique qui caractérise les individus.

Et nous sommes loin du compte, car tous les revenus des agents économiques (individus, ménages, groupes, sociétés, administration publique) ne sont pas égaux et les pourcentages peuvent dramatiquement augmenter d’un agent économique à l’autre.

Mais conservons pour les besoins des développements ce chiffre.

7 milliards d’ouguiyas, qu’est-ce que cela représente ?

C’est la part du revenu national que cette société pompe à la Nation, C’est des milliards en profits capitalisés par une poignée d’investisseurs.

Au détriment de qui et de quoi ?

Au détriment du revenu des agents économiques nationaux (individus, ménages, entreprises), au détriment de l’économie nationale (absence d’épargne, inexistence d’investissement).

Les agents économiques sont démunis, faute de moyens (mal nutrition, santé précaire, culture inexistante, scolarité abandonnée) parce que leur revenu est pompé par le « poste communication ».

Et malheureusement, la dépense de communication ne sert pas à ses agents économiques, elle n’est souvent que du gaspillage de cartes chèrement prépayées en papotages et salamalecs infinis. Et la publicité, souvent mensongère et agressive des compagnies de télécommunication pousse à la surconsommation.

Une dépense stérile qui absorbe les revenus des pauvres et enrichit davantage les riches.

Il est certain que si l’on calculait le rapport entre la valeur ajoutée de ces compagnies de télécommunication à l’économie nationale (en terme d’investissement et de développement socio-économique) et les ponctions qu’elle réalisent sur le revenu national (pénalisant l’épargne privée et l’épargne publique) on se rendrait compte que ce rapport est négatif.

Et si l’on peut quantitativement figurer ce rapport désastreux en chiffres, il serait encore terrible de constater que les conséquences socio-économiques, non quantifiables, ont entrainé la destruction de l’économie des ménages ont induit la hausse de la pauvreté, de l’indigence, de la précarité avec l’impact sur la santé, la scolarité, l’éducation, la culture et la cherté de la vie.

En somme une destruction quantitative et qualitative du niveau de vie social en Mauritanie.

Quatre millions et demi d’abonnés, en Mauritanie cela ne se fête pas. Ça désole. Parce que le peuple entier est pris en otage. Car ses biens sont confisqués, son revenu national pompé par des multinationales et qui reste le plus pauvre des pauvres.

Alors si en Mauritanie, les télécommunications ont un effet d’entrainement sur la croissance économique, ce n’est pas sur la croissance du pays, ni sur le bien-être des populations qui se paupérisent. C’est probablement la croissance de certains investisseurs portés, à bout de bras, par un Etat qui ignore superbement les effets de ses actes sur sa population au bénéfice des intérêts de quelques-uns.

Le réveil sera d’autant plus amer que le premier responsable, l’Etat, accuse toujours, dans l’intérêt qu’il porte à ses citoyens, une dérivée négative.

Quatre millions et demi d’abonnés. Pays d’un million de poètes, appauvris, vibrant au GSM.

Pr ELY Mustapha

Source : Pr ELY Mustapha

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