Dialogue politique : La montagne aurait-elle avorté ?!

On a l’habitude de dire que «la montagne a accouché d’une souris», lorsque les attentes fondées sur quelque chose ont été déçues. Ce fut souvent le cas lorsqu’on annonçait un grand chambardement du gouvernement et qu’on se retrouve avec de légers réajustements, avec les mêmes personnes recyclées.

Ainsi, lorsque – il y a quelques mois – des informations ont fait état de la volonté du nouveau Président de la République, Mohamed Ould Gazouani, de renouer le dialogue avec l’opposition, certains ont de nouveau estimé que la montagne accoucherait d’une souris.

Sauf que cette fois, elle aurait carrément avorté. En tout cas, elle n’a pas encore accouché et la gestation est pour le moins longue.

Dans tous les apartés que le président Ghazouani a eus avec les différents leaders de l’opposition, la question du dialogue politique inclusif est souvent revenue. Seulement, le nouveau locataire de la Maison Grise semble nourrir la même méfiance à son égard que son prédécesseur. D’où sans doute, cette décision de répondre aux sollicitations d’une opposition qui a décidé depuis son accession au pouvoir, en août 2019, de jouer l’apaisement.

On a alors l’impression que la Mauritanie vit une démocratie sans opposition. Et pourtant, les occasions de critiquer ou de dénoncer n’ont pas manqué au cours de ces dix-sept mois de règne de Ould Ghazouani.

Un dialogue avec une opposition silencieuse

Qu’à cela ne tienne. Ould Ghazouani offre à sa docile opposition un dialogue social à fortes connotations politiques. Car le social débouche toujours sur le politique, et vice-versa. D’autant que les questions qui fâchent seront forcément au rendez-vous.

Qu’il s’agisse des évènements de 89-91, connu sous le vocable «Passif humanitaire », ou encore de l’esclavage. Ils aborderont probablement aussi la cohabitation entre les différentes composantes nationales, l’identité culturelle de la Mauritanie (arabo-maghrébine ou arabo-africaine), les langues, ce que d’aucuns nomment racisme d’Etat, les discriminations, etc.

Une vraie volonté de dialogue ou des intérêts déguisés ?

Certains pessimistes continuent d’entretenir le doute par rapport aux véritables intentions des « militaires habitués à manipuler les masses pour les endormir avec de telles initiatives ». Mais la majeure partie des acteurs politiques en Mauritanie trouvent la démarche salutaire pour décanter les problèmes sociaux persistants.

C’est le cas des partis et activistes négro-africains. Ces derniers cherchent à épurer le dossier lié au « Passif humanitaire » et à l’exclusion sociale, dont ils se considèrent les principales victimes. C’est aussi le cas des abolitionnistes, qui trouvent que le problème de l’esclavage en Mauritanie reste entier.

Les syndicats des travailleurs ont également des dossiers liés aux nombreux problèmes du monde du travail. Tout comme les organisations de protection des droits de l’homme, effarés par l’ampleur des violations dans ce domaine.

Jusque-là certes, il ne s’agit que d’une initiative dont l’idée vient à peine d’être lancée, sans beaucoup de réactions encore. Le président de l’UPR qui en a été instruit s’est contenté de se réunir avec ses proches collaborateurs.

Sur les modalités du dialogue envisagé, rien ne filtre encore. Seulement, l’écrasante majorité des acteurs politiques et sociaux souhaitent un dialogue inclusif avec la participation des Mauritaniens tout au long du processus, et non un remake des anciens dialogues diligentés par l’UPR sous Abdel Aziz. Ce modèle d’unilatéralisme avait conduit au blocage politique qui a marqué la quasi-mandature de l’ancien président.

Ainsi, ce mariage de raison qui coule avec douceur depuis plus de deux ans entre l’opposition et le pouvoir de Ghazouani, tirera sa longévité de la manière avec laquelle ce dernier conduira ce premier dialogue de son premier mandat.

Donné pour imminent il y a quelques mois déjà, le lancement des concertations politiques nationales entre la majorité et l’opposition tarde à démarrer. Les vacances estivales y seraient pour quelque chose, semble-t-il.

Beaucoup de leaders politiques avaient choisi de fuir Nouakchott et sa fournaise pour humer l’air humide de l’été à l’intérieur du pays et à l’étranger. Une espèce de temps de réflexion pour les uns et les autres avant le moment décisif.

Préparation

Pour en arriver là, une première étape doit être franchie. Il s’agit en premier lieu de mettre en place une commission chargée de préparer le dialogue ou les concertations. Un sacré défi en ce qu’il faut d’abord convenir de sa composition et de sa mission.

S’agira-t-il d’une commission interparlementaire pouvoir-opposition, à l’image du cadre de concertation des partis représentés à l’Assemblée nationale mis en place lors de l’apparition de la pandémie COVID ?

Ou bien d’un cadre choisi par le gouvernement, en concertation avec les partis politiques et, peut-être, la Société civile ? Dans l’un comme dans l’autre, les négociations risquent fort d’être serrées : aucune chapelle politique n’entend être tenue à l’écart de ladite commission, toutes voudront même la contrôler.

S’il tient à des assises inclusives crédibles, le pouvoir devra donc ménager la monture et trouver un consensus, au risque de déplaire à divers de ses soutiens. Pour cela, il doit éviter d’user d’« une certaine » société civile spécialisée à noyer les structures et polluer les débats.

Les partis politiques de l’opposition qui avaient choisi de rester en marge des discussions, comme Tawassoul et AJD/MR dont le leader Ibrahima Sarr avait été reçu par le président Ghazwani, doivent y être par contre intégrés : Tawassoul est le leader de l’Opposition démocratique et pèse lourdement dans l’arène politique ; quant à l’AJD/MR, il siège lui aussi à la Chambre des représentants du peuple.

Compétences

Une fois cette étape franchie, il faudra définir les compétences de la commission, arrêter les thématiques dont l’essentiel est déjà consigné dans la feuille de route concoctée par une forte majorité des partis de la majorité et de l’opposition.

Mais il faudra tout de même ouvrir cette feuille à d’autres propositions ou contributions d’acteurs n’ayant pas pris part aux premières rencontres : l’enjeu n’est-il pas de rebâtir un pacte républicain ? Les dirigeants du pays, leurs clients et profiteurs ne peuvent continuer à dire : « circulez, y a rien à voir ! ».

Tous les acteurs politiques reconnaissent que la Mauritanie est malade de son unité nationale, qu’elle doit cesser d’entretenir le sentiment de nombre de ses citoyens d’être marginalisés, voire carrément étrangers en leur propre pays.

Les efforts déployés par le principal parti de la majorité à trouver des voies et moyens de renforcer l’unité nationale et la cohésion sociale ne doivent pas rester improductifs.

L’UPR a organisé des séminaires, ateliers pour peaufiner sa contribution aux concertations, le gouvernement doit écouter son soutien principal au Parlement mais les nominations et recrutements que celui-là a jusqu’ici effectués ne vont pas dans ce sens.

Suivi et mise en œuvre

Après cette deuxième étape, les parties doivent établir un chronogramme puis un mécanisme de mise en œuvre des recommandations. Le premier permet de définir le calendrier des travaux et la manière dont ils vont se dérouler. Sur ce point, les acteurs auront à aménager le temps en tenant justement compte de la mise en œuvre des recommandations et, aussi et surtout, des prochaines échéances électorales.

Parmi ses probablement nombreux chantiers à lancer, le dialogue devra aboutir à la refondation de certaines structures, notamment la recomposition de la CENI et éventuellement du Conseil Constitutionnel, deux organes essentiels à la bonne tenue des élections. Elle doit également conduire à la modification de l’actuel découpage électoral en vigueur, ce n’est pas rien…

Le mécanisme de suivi et mise en œuvre reste un organisme essentiel. Il faut éviter de sortir de ce dialogue, comme par le passé, avec de belles résolutions uniquement destinées à dormir dans les tiroirs du président de la République et de son gouvernement.

On se rappelle ce qu’il advint des résolutions des journées de concertations, lors de la transition 2005-2007 et consorts, dialogues de l’ex-président Ould Abdel Aziz compris. Les partenaires doivent donc se donner les moyens de peser de tout leur poids pour exiger la mise en œuvre effective de leurs recommandations.

Faute de quoi, ils donneront raison à ceux croient dur comme fer que le dialogue n’est pas une panacée, seule compte, à leurs yeux, la volonté politique au sommet de l’État. Réelle ou simulée ? De fait, a-t-on jamais vu quelqu’un scier la branche sur laquelle il est assis ? Mais, au final, simuler ne serait-elle pas la plus efficace des scies à cette fin ?

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