– La Mauritanie à l’épreuve du continent / Par Mohamed Fall Oumère

Ce n’est pas la première fois que notre pays se retrouve propulsé au-devant de la scène continentale en assurant, pour une année, la présidente tournante de l’Union Africaine. Mais cette fois, la présidence de l’UA nous tombe dans les bras dans des circonstances particulières.

Elle est d’abord le fruit d’un consensus solennellement exprimé par les pays de l’Afrique du nord à un moment où il est pratiquement impossible de faire converger ces pays vers une décision commune. Elle est aussi un «coup de chance» pour la Mauritanie qui entend reprendre l’une de ses vocations originelles qui consistait à être «le trait-d’union» entre le nord et le sud du Sahara.

A un moment où cette vocation sera certainement l’un des éléments de langage de la future campagne présidentielle.

Elle est surtout un moment d’accomplissement qui arrive après quelques grandes émotions vécues par les Mauritaniens (parcours de l’équipe nationale de football dans la dernière CAN notamment) et à un tournant dans le projet de société et de gouvernance lancé le 1er août 2019 par le Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Quelles attentes et quelles opportunités s’ouvrent devant le pays à cette occasion ?

Lucidité dans le discours

En se référant à feu Moktar Ould Daddah, le Président Ould Cheikh El Ghazouani, nouvellement investi par ses pairs à la tête de l’Union Africaine, rappelait sans doute le poids de l’Histoire et la grandeur de la mission qui incombe à l’organisation en ces temps où la morosité semble dominer. Inspiré comme à son habitude, il soulignait que le Président Ould Daddah «croyait en la nécessité de promouvoir l’action africaine commune, fermement convaincu que son pays (la Mauritanie, ndlr) qui constitue un lien historique et culturel, entre le sud et le nord du continent, devait être l’un des piliers de cet édifice africain naissant».

Où en est l’UA ? certes l’Agenda 2063 ambitionne d’arriver à «une Afrique intégrée et prospère, gouvernée pacifiquement, dirigée par ses citoyens, et une force dynamique sur la scène internationale». Mais l’organisation panafricaine est loin de satisfaire les attentes de ses peuples.

La situation de pauvreté dans laquelle vivent les peuples du continent en général contraste scandaleusement avec les potentialités du continent. Richesses du sous-sol et halieutiques, abondance de sources d’énergie renouvelable, dynamisme de la démographie, position géopolitique… tout concourt à faire du continent une promesse permanente de futur. Ce qui est loin de changer le présent.

Le manque d’éducation, de démocratie, l’exclusion, l’iniquité dans le partage des ressources, la mauvaise gouvernance du potentiel sont autant de causes d’instabilité endémique voire structurelle. Cette mauvaise gouvernance est à l’origine des guerres civiles, des rébellions, des coups d’Etat et de la propagation du crime organisé sur notre continent.

«Notre continent abrite plus de 50% de l’extrême pauvreté dans le monde, possède 25% des terres arables mondiales et ne contribue qu’à 10% de la production agricole mondiale, ce qui menace de continuer à détériorer sa sécurité alimentaire», reconnait le nouveau Président de l’UA. Les images se succèdent de jeunes africains fuyant leurs terres d’origine pour des raisons économiques, climatiques, sanitaires, ou politiques, souvent à cause de la conjugaison de tous ces facteurs.

Promesses d’avenir

Si, à un moment les regroupements régionaux ont été perçus comme solution en perspective d’une intégration africaine plus large, nous en sommes aujourd’hui à les regarder se décomposer l’un après l’autre. L’une des premières préoccupations du nouveau Président en exercice de l’UA sera certainement d’endiguer le phénomène et de ramener l’unité sur la base du partage et de la tolérance.

Les questions de savoir que fera-t-on du G5 Sahel, ou comment éviter la dislocation des organisations régionales comme la CEDEAO, comment rapprocher les pays du Maghreb, régler les différends de la Corne de l’Afrique, arrêter les changements anticonstitutionnels du pouvoir.

Dans une étude publiée à l’occasion de la tenue du 37ème sommet de l’UA, l’organisation internationale Crisis Group explique la nécessité d’agir vite et fermement pour résoudre les multiples conflits qui ravagent actuellement le continent et prévenir ceux qui sont latents. Pour ce faire, l’organisation déclare qu’en 2024 «l’UA devrait explorer de nouvelles façons de traiter les crises de gouvernance ; s’engager pour sauver le Soudan ; résoudre les conflits en Éthiopie et stabiliser la RDC ; maintenir ouverts les canaux diplomatiques dans le Sahel central ; mettre le conflit anglophone du Cameroun à l’ordre du jour ; réactualiser son partenariat avec la Somalie et contribuer à préparer le Soudan du Sud pour les élections».

Chercher des solutions multilatérales aux crises et aux menaces est aussi une nécessité à l’heure où le monde, particulièrement le continent, est traversé par le repli sur soi des Etats au nom d’un souverainisme désuet et dangereux. Mutualiser les ressources et les compétences en matières de partenariats techniques et financiers extérieurs est aussi nécessaire pour accéder aux financements peu onéreux et réaliser les projets structurants, y compris ceux qui visent l’exploitation commune des ressources naturelles. L’exemple de l’exploitation gazière dans le bassin sénégalo-mauritanien doit faire école.

L’UA verra s’ouvrir devant elle l’occasion de participer au forum du G20 qui rassemble les plus grandes économies du monde. En septembre prochain, la nouvelle présidence ne manquera de présenter un plaidoyer voire un plan de financement au profit des pays du continent. Si le maintien de la paix dans le monde, la lutte contre la pauvreté, et si la peur de l’immigration sont des préoccupations réelles pour le monde riche, il va falloir faire un effort supplémentaire pour aider les pays à prendre en charge leurs populations et éviter les grands bouleversements.

Apaiser les tensions, rapprocher les points de vue pour préparer l’avènement d’une nouvelle équipe en 2025. En effet, le sommet prochain doit élire un nouveau président de la Commission de l’UA à la place du tchadien Moussa Faki Mahamat, du vice-président et des six commissaires dont celui Paix et Sécurité, toujours objet de forte concurrence entre nos deux grands voisins immédiats du Maghreb (Maroc et Algérie).

La nouvelle présidence tournante aura pour tâche d’insuffler un engagement plus fort des dirigeants et des Etats pour soutenir l’organisation d’une part sur le plan politique et d’autre part sur l’aspect financier. En effet rien que les opérations de maintien de la paix sont supportées à 25% par l’UA (les 75% sont supportés par l’ONU).

Le Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani arrive à la tête de l’UA à un moment crucial pour le monde arabe. La guerre de destruction menée par Israël à Gaza et dans les Territoires occupés de Palestine, exige de notre pays un effort supplémentaire en vue d’assurer à la cause palestinienne, arabe en général, le soutien des frères africains. C’est cela qui avait donné un sens à la présidence mauritanienne sous feu Moktar Ould Daddah et qui avait permis à la Mauritanie de jouer pleinement son rôle d’interface entre ses deux versants africain et arabe.
Source:Mohamed Fall Omére

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