Mauritanie : La députée Kadiata Diallo réagit sur la loi d’orientation sur l’éducation

Kassataya – « Malheureusement la note d’orientation annonce un projet de loi qui remet en cause l’essentiel des principes du rapport sur la concertation nationale »

Le gouvernement mauritanien a fait de la réforme du système éducatif, l’une de ses priorités. Mais la loi d’orientation avant son adoption suscite déjà des polémiques au sein de l’opposition et de la société civile. Parmi les réactions les plus pertinentes, celles de la députée Kadiata Malick Diallo qu’on ne présente plus même dans le groupe thématique de la commission de l’Assemblée nationale sur les LN.

La parlementaire s’est confiée à Kassataya sans langue de bois pour reconnaître que l’arabe reste la seule langue officielle et langue d’enseignement en Mauritanie alors que les LN sont reléguées au stade de langues de communication.

Une vision qu’elle partage avec les associations culturelles nationales qu’elle accompagne sur leur plaidoyer pour la réintroduction des LN dans l’enseignement.

« L’acquisition des savoirs se fait uniquement en arabe discriminant très clairement les enfants non arabophones»

Kassataya : quelles appréciations faites-vous de la loi d’orientation sur l’éducation ?

KMD : merci de me permettre une nouvelle fois de m’exprimer sur Kassataya sur un sujet de préoccupation majeure, à savoir la réforme du système éducatif.

Je n’ai pour le moment pris connaissance que de la note de présentation du projet ou plutôt de l’avant-projet de loi d’orientation sur l’Education nationale. Vous savez que j’accompagne les Associations culturelles nationales sur leur plaidoyer pour la réintroduction des langues pulaar, sooninke et wolof dans le système éducatif national.

J’ai participé aux différentes rencontres que le Ministre de l’Education et de la Réforme du Système Éducatif a eu avec ces Associations. J’ai aussi suivi les débats des journées régionales puis nationales de concertation sur la réforme de l’éducation. J’avais relativement bien apprécié le rapport de synthèse générale malgré certaines incohérences voire des contradictions qu’il comportait.

En effet, le premier défi mentionné dans le rapport est «la nécessité de rendre effectif dans les meilleurs délais et conditions d’efficacité optimale l’enseignement de nos langues nationales à tous les niveaux du système éducatif dans une optique d’éducation pour tous de qualité, équitable et inclusive ».

Il précise ensuite pour le type d’école que nous devons promouvoir « Une école unificatrice, équitable, inclusive, dispensant une éducation pour tous de qualité sur un pied d’égalité, qui tient compte des spécificités et des besoins individuels ».

Au niveau des objectifs visés, on a, entre-autres, envisagé la maîtrise de l’arabe, en sa qualité de langue nationale et officielle, d’instrument d’acquisition du savoir à tous les niveaux d’enseignement, moyen de communication sociale, outil de travail et de production intellectuelle mais également de promouvoir et d’étendre l’enseignement dans les autres langues nationales qui doivent être développées à cet effet.

Dans le souci d’unification du système éducatif, il est précisé que « le choix des langues d’enseignement dans l’Ecole réunifiée doit obéir à l’impératif d’offrir l’accès le plus facile, le plus efficace et le plus équitable au savoir.

D’où l’impérieuse nécessité d’accorder une importance capitale à l’enseignement en langues maternelles et d’assurer un choix judicieux des langues d’ouverture ». Le rapport tout en reconnaissant que nos langues s’équivalent au regard de notre devise nationale (honneur, fraternité et justice) dit également que «nos enfants ont le droit d’être enseignés dans leurs langues nationales et la nation a le devoir de le leur fournir».

Le succès de l’ILN dans l’expérimentation de l’enseignement des langues nationales a aussi été reconnu. Dans le cadre des mesures de la réforme, le rapport retient que l’enseignement doit être dispensé à tous les niveaux aux enfants mauritaniens dans les langues nationales: l’arabe, le pulaar, le sooninke et le wolof, et que l’arabe est enseigné à tous les enfants non arabophones comme langue de communication et comme véhicule d’apprentissage d’autres disciplines mais il est tout aussi précisé qu’au début de la scolarité, l’enseignement est assuré en langues nationales pour garantir une bonne acquisition des savoirs et éviter d’exposer les enfants à la double difficulté de maîtrise de la langue d’enseignement et l’acquisition des contenus dispensés.

C’est dire donc que le rapport a énoncé les grands principes sur lesquels doit reposer notre enseignement qui doit viser l’indépendance culturelle, l’unité dans la diversité, l’équité et l’égalité des chances avec l’efficacité nécessaire. Malheureusement la note d’orientation nous annonce un projet de loi qui remet en cause l’essentiel de ces principes.

Une seule de nos langues (l’arabe) va demeurer officielle alors que les autres restent confinées au stade de langues de communication, une manière très claire de reconsidérer l’équivalence de nos langues.

L’acquisition des savoirs se fait uniquement en arabe discriminant très clairement les enfants non arabophones dans l’accès aux savoirs. Les Associations culturelles que le Ministre de l’Education a rencontré pour concertation sur le contenu de la note d’orientation ont proposé des amendements au texte que je fais miens. J’espère que le Ministre tiendra bien compte de leurs propositions pour rectifier le tir.

Kassataya : la loi d’orientation fait craindre l’utilisation des LN en caractères arabes. Qu’en pensez-vous?

KMD : non, je n’ai vu nulle part dans la note la moindre allusion au problème de la transcription des langues qui est une question dépassée au niveau africain et même en Mauritanie où leur enseignement a été expérimenté avec succès il y a plus de quarante ans. Je suis d’ailleurs très étonnée qu’une telle question continue d’être soulevée car le faire constitue consciemment ou inconsciemment un travail de sape et un sabotage du processus de développement de ces langues et c’est inadmissible.

Kassataya : en tant que faisant partie de la commission des LN à l’assemblée nationale. Quel bilan en faites-vous ?

KMD : vous parlez peut-être du groupe thématique pour la promotion des langues nationales que nous avions constitué à l’Assemblée nationale. La création du groupe a coïncidé avec l’apparition de la pandémie Covid-19, ce qui a retardé le démarrage de ses activités. Les députés membres du groupe ont montré beaucoup d’engagements et les Ministres de l’Education et de la Culture au moment du lancement de ses travaux s’étaient engagés chacun, pour ce qui relève de ses domaines de compétences à garantir la diversité culturelle et linguistique du pays. Malheureusement le bureau de l’Assemblée nationale a suspendu les activités de l’ensemble des groupes thématiques.

Le peu d’activités que nous avons pu mener, c’est la facilitation des rencontres entre les Associations culturelles nationales et les différents ministres qui ont la charge de la culture et celui de l’Education.

Kassataya : ne pensez-vous pas qu’il faut d’abord officialiser les LN avant de parler de leur enseignement au même titre que l’arabe?

KMD : : si on reconnaît que: les langues s’équivalent, l’Etat a le devoir de promouvoir ses langues et cultures nationales.L’acquisition des savoirs et la maîtrise d’autres langues se font mieux et plus vite si l’enfant commence son apprentissage par sa langue maternelle.

Les langues sont des outils de communication, de travail et de production intellectuelle On doit de manière évidente admettre qu’il est impérieux d’officialiser les trois autres langues nationales et cela doit ressortir clairement dans la loi d’orientation.

Kassataya : quelles solutions préconisez-vous pour sortir de cette impasse politique ?

KMD : je ne sais pas si on peut parler d’impasse politique dans la mesure où les principaux acteurs ont opter pour l’apaisement depuis l’arrivée du Président Mohamed Cheikh Ghazouani au pouvoir..

Donc politiquement on ne sent aucune tension. Ce que je puis affirmer par contre, c’est qu’il y a un immobilisme au niveau du pouvoir au moment où les populations subissent de plein fouet les effets d’une crise économique et sociale liée à la mauvaise gestion, à la gabegie, au népotisme de l’administration et ses pratiques discriminatoires.

A mon avis, la situation exige l’affirmation d’une opposition forte qui joue son rôle dans l’orientation et l’encadrement des luttes des citoyens et la dénonciation des politiques du pouvoir et de se constituer en une alternative au pouvoir au lieu de continuer à courir derrière un dialogue dont les conditions ne sont nullement réunies.

Propos recueillis par Chérif Kane, journaliste

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