L’inflation ! Une fatalité ? (2) Par maître Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud.*

L’inflation est avec nous, parmi nous, entre nous.

Elle est dans nos plats, nos moyens de transport, nos écoles, nos soins de santé. On ne peut plus faire comme si cela se passait ailleurs, ou faire semblant, fermer les yeux, chercher des expédients ; il faut regarder les choses en face, prendre le taureau par les cornes, affronter ce mal qui nous affame, nous jette au chômage, nous appauvrit.

Récemment encore, le chômage était vécu avec une certaine nonchalance, et au-delà même, un certain fair- play, car tout le monde croyait à l’égalité des chances, et les opportunités d’emploi étaient équitablement réparties, en fonction des compétences, qu’elles soient d’ordre académique et/ou professionnel.

Aujourd’hui, le chômage est perçu comme une maltraitance, car accéder à un emploi relève du parcours du combattant, du fait de la rétention de l’information, des concours bâclés, des diplômes produits pour la circonstance grâce à la mise en place d’une véritable industrie du faux à large échelle ; dans certains cas, il faut marcher sur sa dignité, piétiner son égo, se courber l’échine, faire semblant ; les égoïsmes ont pris le pas sur les élans de solidarité qui ont naguère donné naissance à toutes sortes d’initiatives humanitaires jusqu’à ce que la Covid vienne assécher les bourses des mécènes, poussant plusieurs organisations humanitaires à mettre la clé sous le paillasson.

Le chômage est de surcroît un gaspillage de ressources ; il est révélateur de l’inefficacité avec laquelle une économie utilise sa main-d’œuvre.

Arthur Okun, éminent économiste américain, qui fut conseiller du président des Etats-Unis John F. Kennedy a mis en évidence, selon la loi qui porte son nom, dite loi Okun, que les accroissements du taux de chômage induisent une baisse du PIB, dans des proportions alarmantes, chaque hausse du taux de chômage de 1% entraînant un ralentissement de la croissance du PIB de 2%.

Il y a donc, selon cette loi, une relation négative entre le chômage et le PIB qui peut déboucher, selon son intensité, sur une véritable récession économique. Nous devons commencer par déclarer l’inflation « Ennemi public », au même titre que cette pandémie qui nous renvoie à notre vulnérabilité, notre impuissance, notre finitude.

Nous ne sommes pas les seuls concernés par cet ennemi qui s’apprête à désorganiser durablement l’économie mondiale.

Aux Etats-Unis, l’inflation atteint déjà 7% ; un taux inégalé depuis 1982 . On se souvient qu’à la fin des années 70, les Etats-Unis connaissaient une inflation à deux chiffres de 11,7% ; il reviendra à Paul Volker, alors nouveau président de la Federal Reserve (Banque centrale américaine), de ramener l’inflation à 3% grâce à un resserrement de la politique monétaire.

Il parviendra à réduire l’inflation de plus de 6,7 % ; Volker a même surmonté un autre défi, celui de diminuer le coût de la désinflation, ou coût de sacrifice, dans une proportion bien inférieure à celle qu’avaient anticipée de nombreux économistes.

La même solution est en voie d’être rééditée par l’actuel président de cette prestigieuse institution.

Dans ce pays, les présidents s’entourent traditionnellement de conseillers économiques, en provenance d’universités prestigieuses, comme lorsque John F. Kennedy, devenu président des Etats-Unis en 1961, fît appel à de jeunes économistes des plus brillants parmi ceux formés à l’école Keynésienne, et qui lui conseillèrent d’accroître le revenu national par une réduction des prélèvements fiscaux , l’objet recherché étant d’encourager les dépenses de consommation et d’investissement , pour accroître le revenu et l’emploi ; le PIB connût une croissance de 5,3% en 1964, puis de 6% en 1965 ; quant au taux de chômage, il baissa de 5,7% en 1963, à 5,2% en 1964 et 4,5% en 1965.

Nos décideurs politiques devraient s’inspirer d’une telle démarche plutôt que de gaspiller les deniers publics à recruter des cours fardées, soigneusement camouflées derrière des esprits faux et inauthentiques ; ils feraient mieux de cogiter cette sentence de Confucius : « Sous un bon gouvernement, la pauvreté est une honte ; sous un mauvais gouvernement, la richesse est aussi une honte ». Confucius 551-479 av J.C. livre des sentences.

L’inflation n’est pas qu’américaine ; elle s’internationalise.

En France, la perte du pouvoir d’achat avoisine les 3%, avec une fréquence de plus en plus rapprochée de la variation en hausse des prix, affectant gravement les budgets des ménages, sans qu’aucune revalorisation du point d’indice ne soit par ailleurs à l’ordre du jour ; l’inflation s’y mesure en taux journalier, particulièrement lorsqu’il s’agit du prix à la pompe.

Le reste de l’Europe n’est pas épargné, surtout les pays du Sud où on assiste à une exacerbation des tensions sociales, plusieurs millions de personnes basculant du jour au lendemain, dans la pauvreté, ou confrontées au chômage du fait de licenciements en masse.

En Asie centrale, un pays comme le Kazakhstan au sous-sol immensément riche, connaît des émeutes d’une rare intensité, étouffées dans le sang, dues à une augmentation continue, persistante et généralisée des prix.

En Turquie, on assiste à une véritable hécatombe de la monnaie nationale qui ne cesse de dégringoler sous l’effet de la baisse par la Banque Centrale turque de son taux directeur, de l’ordre de 500 points, alors même que 60% des dépôts bancaires y sont en dollars et en euros ; dans ce pays, on croit mordicus que la diminution des taux d’intérêt est de nature à endiguer l’inflation, alors que le prix du pain, sous l’effet d’une telle politique monétaire y a grimpé de 50%, ce qui dévoile au grand jour, l’existence d’une hyperinflation.

La Chine, longtemps au cœur de la globalisation, son principal moteur et le tracteur de la croissance mondiale, n’est pas à l’abri ; on y assiste à des faillites en cascade de crédits-bailleurs immobiliers dues au défaut de crédits-preneurs, devenus subitement insolvables, et passant du statut de privilégiés à celui de chômeurs en déshérence.

Naguère considérée comme le centre de croissance de l’économie mondiale, la Chine s’est pliée à la thérapie du resserrement monétaire, comme les Etats-Unis, comme l’Europe très prochainement, qui ne croit plus au financement de l’économie par l’offre de monnaie.

Le « quoi qu’il en coûte » de Mario Draghi, et les chèques qu’on distribuait à bout de bras comme mesures d’atténuation des effets économiques de la Covid 19 ; tout cela c’est du passé, terminé, fini, enterré.

Dans le même élan, on a mis fin à la générosité de la Banque Centrale Européenne qui finançait la croissance et l’emploi par la vulgarisation de l’accès au crédit, y compris à des taux négatifs, en permettant aux banques d’accéder gratuitement et sans limite à la liquidité.

Il faut se rendre à l’évidence ; cette inflation qui entame à grande échelle les portefeuilles des ménages, exacerbe les problèmes sociaux, désorganise les allocations des ressources, est loin d’être passagère ; elle va s’installer de manière durable ; Il va falloir s’y préparer pour en prévoir et prévenir les méfaits.

Certes, la solution monétaire est le fer de lance dans la lutte contre ce que Keynes qualifie de « système » qui « appauvrit beaucoup de gens ».

L’approche monétaire a montré ses bienfaits, et chaque fois qu’il y a eu un resserrement de la politique monétaire par une action sur la quantité de monnaie en circulation, on a vu les prix s’ajuster à la baisse.

Cependant, cette solution n’est pas vérifiable en Mauritanie, du fait de l’absence de statistiques fiables dignes de ce nom, permettant de calculer à sa juste mesure la masse monétaire contrôlée directement par la Banque Centrale, à savoir la somme de pièces et billets en circulation, et des réserves bancaires ; par ailleurs, et toujours du fait de l’absence de statistiques fiables, on ne peut qu’évaluer dans l’approximation les conséquences d’une politique de resserrement monétaire dans un pays où le taux de bancarisation, comme d’ailleurs dans la plupart des pays de même standing, est inférieur à 20%, dans un pays où de surcroît il n’y a pas de marché boursier, qui à côté du système bancaire facilite le mécanisme de transfert des ressources de l’économie, et renforce la transparence des opérations financières.

Or, parmi les objectifs du pouvoir d’encadrement qu’exerce la Banque Centrale sur les banques primaires, figure en bonne place, le maintien de la stabilité des prix, en d’autres termes, une maîtrise de l’inflation qui passe nécessairement par une action sur la masse monétaire.

Il faut donc pouvoir déterminer avec précision la base monétaire, sans quoi, il serait impossible d’identifier l’offre de monnaie qu’il faudrait contrôler, pour pouvoir contrôler en dernier ressort le taux d’inflation.

Au vu de toutes ces insuffisances ; l’absence de statistiques fiables comme soulevée précédemment, l’inexistence d’un marché boursier, le déficit de bancarisation qui entame le rôle essentiel des banques dans l’allocation efficiente de l’épargne en vue du financement de l’économie , restent autant de barrières à la mise en place d’une politique monétaire qui puisse contribuer en toute intelligence, à l’émergence d’un processus de désinflation. (à suivre)

Avocat à la Cour.

Ancien membre du Conseil de l’Ordre.

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