La mort juridique et judiciaire du « Dossier de la décennie »

Maître Mohameden ould Icheddou – On peut affirmer à l’opinion publique nationale et internationale qu’il y a du nouveau dans le dossier dit « dossier de la décennie », aussi bien sur le plan de la forme que sur le plan du fond.

-Sur le la forme.

On oublie que le dossier impliquant l’ancien président de la république était au début connu sous l’appellation « gabegie décennale », puis on est passé à l’appellation suivante « dossier du président Mohamed ould Abdel Aziz », celui-ci étant devenue au fil de la procédure la seule cible, puis cette appellation est devenue « dossier de la décennie » tout court ; les médias qui ont glosé sur la dernière saisine par la Cour suprême de la décision de renvoi , l’ont présenté comme étant le « dossier de la décennie », sans plus.

Toutes ces fluctuations sémantiques sont révélatrices d’un profond malaise, chez ceux-là mêmes qui s’exercent à cerner un dossier qu’ils savent construit de toutes pièces, mais ne veulent se résigner à accepter cette vérité amère.

L’appellation, la seule qui vaille est bien celle de « dossier des accusations mensongères contre la décennie » , du fait de l’absence de toute preuve à charge . N’est-il pas dans l’intérêt de tous qu’il en soit ainsi, du fait même que la décennie concerne tout le monde, aussi bien les accusés que les accusateurs.

-Sur le fond.

Aujourd’hui, Il nous est désormais possible de proclamer haut été fort, devant l’opinion nationale et internationale, la mort clinique de ce dossier sur le plan juridique et judiciaire, et ce pour les raisons suivantes :

1) Ce dossier est un tissu de contre-vérités qui ne sauraient servir de fondement à une cause juste.

En effet, les instigateurs de cette procédure malsaine prétendent qu’elle est fondée sur le rapport de la « commission parlementaire » , or ce rapport est nulle de nullité absolue par la force de la constitution en ses articles 45 à 77, qu’il est également fondé sur la saisine de ce rapport par le gouvernement suite à sa transmission du parlement, que de surcroît le parquet a fait de ce rapport la matière de ses poursuites contre l’ancien président de la république.

Aujourd’hui le caractère mensonger et illégal des poursuites déclenchées par le parquet apparaît au grand jour, du fait même que la commission d’enquête n’évoque nulle part, en quelque endroit de son rapport volumineux de 364 pages , le nom de l’ancien président. A cet égard, la déclaration du vice-président de la commission d’enquête parlementaire, est édifiante ; il y est dit expressément ceci : « Si la presse s’avisait de prendre connaissance de la manière dont les députés ont présenté leur travail, elle s’apercevrait qu’en aucun moment ils n’ont évoqué , ni décennie, ni régime, ni président. Les députés ont parlé de certains secteurs qu’ils s’apprêtent à investiguer ; en outre le président de la république n’est pas responsable de la gestion ; aux termes de la constitution, il ne peut être poursuivi à propos d’un quelconque dysfonctionnement du service public, et toujours aux termes de la constitution, il ne peut être accusé que de haute trahison. Or la presse s’est appesantie sur la décennie et le régime, alors que ce que recherchent les députés, c’est que le parlement remplisse sa mission en ce qui concerne le contrôle de l’action du gouvernement, qu’il s’agisse du gouvernement actuel ou ceux qui l’ont précédé. Aussi, il m’apparaît que la presse a fait dire à la commission d’enquête parlementaire ce qu’elle n’a pas dit » Fin de citation.

Par ailleurs, le rapport de la « commission d’enquête parlementaire » sur lequel s’est fondée l’action publique mise en mouvement par le parquet ne fait pas partie du dossier ; ce rapport est dissimulé quelque part, on ne sait où, sans doute parce qu’il ne contient pas de preuves utiles à l’accusation ; nous avons entre les mains l’inventaire des pièces du dossier ; aucun rapport d’une quelconque commission d’enquête parlementaire n’y figure. A court d’arguments factuels et juridiques, voilà que les accusateurs de l’ancien président, se mettent à soutenir, comble d’hérésie juridique, que « la charge de la preuve ne pèse ni sur l’accusation, ni sur la partie civile, mais sur le prévenu », imputant cette contre-vérité à la convention internationale de lutte contre la corruption ; nous avons démontré le caractère fallacieux de leur argumentation, et en quoi est-ce-que la convention n’a rien à voir avec ces assertions. Silence radio ! Pas une voix pour contester nos arguments.

2) L’absence d’instruction.

a- Aucune instruction n’a eu lieu dans ce dossier, et ce pour les quatre raisons que je m’en vais vous exposer :

– Les pôles du parquet et de l’instruction ont violé dans leur entièreté, les stipulations du décret 017/2017 qui les a créés et qui régit leur fonctionnement ; ce texte énonce de manière impérative que le coordinateur du pôle chargé du parquet, ainsi que celui chargé de l’instruction désignent, chacun en ce qui le concerne, un juge unique. Or , cela ne s’est jamais réalisé ; aussi bien le coordinateur du parquet, que celui de l’instruction , n’ont jamais désigné un juge unique, s’arrogeant les compétences de ce dernier, en violation du décret précité.

-La procédure qui réglemente minutieusement la clôture de l’instruction conformément aux articles 174, 173, 175 du code de procédure pénale, a été violée de manière concertée par les deux pôles, tant celui du parquet que celui de l’instruction.

-L’ordonnance de renvoi, qu’il serait plus judicieux de qualifier de livre de renvoi du fait de son volume (103 pages) ne contient aucune preuve, mais un mélange de faits pervertis, une reproduction lassante des procès-verbaux de police , ainsi que les réquisitions du parquet, ce à quoi il convient d’ajouter que toutes les ordonnances rendues par l’instruction, une quarantaine environ, sont la reproduction exacte des demandes du parquet, d’où une violation suffisamment rapportée par cette similitude, de la séparation des organes d’accusation et d’instruction.

-A tout cela, il faut ajouter que le dossier transmis à la chambre d’accusation ne compte que 767 pages sur 8828 ! Qu’est-il advenu du reste ?

3) L’absence de contrôle par la chambre d’accusation des actes de l’instruction.

Nous avons toujours interjeté appel de tous les actes « d’instruction » ; que s’est-il passé alors devant la cour d’appel ? Que signifie l’appel ?

L’appel consiste à saisir une juridiction supérieure à celle qui a rendu la décision que le plaideur conteste, en vue de la faire réformer ou annuler ; l’intérêt est donc de faire réexaminer la cause au mieux des intérêts de l’appelant, et non pour que ces droits soient à nouveau bafoués.

Il s’agit donc de faire rejuger l’affaire par une nouvelle composition dont on attend, neutralité, connaissance du droit, n’ayant ni intérêt commun avec l’une ou l’autre des parties, ni lien de subordination avec l’une ou l’autre des parties, ni lien de parenté avec l’une ou l’autre des parties.

Or, au niveau de la cour d’appel, le ministre de la justice a retiré le dossier des juges naturels qui devaient en connaître, puis a convoqué un juge qui était en congé, en violation de la séparation des pouvoirs, lequel juge a rendu une décision conforme au vœu du ministre au bout de deux heures de délibéré, alors que le dossier compte 8828 pages, le tout dans une précipitation suspecte, sans attendre que la Cour suprême statue sur une demande en récusation introduite par la défense de l’ancien président contre le juge désigné par le ministre pour connaître du litige en lieu et place des juges naturelles. Ainsi donc, la décision de la cour d’appel est intervenue en violation des règles de compétence , du fait de la composition irrégulière de la chambre, suffisamment édifiante sur ce grief, mais aussi et surtout, malgré l’ouverture d’une procédure de récusation contre le juge désigné par le ministre, et non encore examinée par la Cour suprême ; tout cela fait de cet arrêt une exception dans toute l’histoire judiciaire de la Mauritanie. Nous allons vous communiquer certaines des violations qui ont caractérisé cette décision, sans prétendre en dresser une liste exhaustive, car si nombreuses :

-Alors que la composition de la juridiction est collégiale, son président s’exprime en ces termes dans l’arrêt rendue par la chambre : « Je dis qu’une doctrine dominante, matière à jurisprudence constante, soutient qu’il n’y a pas de nullité sans texte. Cette doctrine est suffisamment rapportée par les tribunaux français et le législateur français ». On ne peut qu’être surpris et choqué par l’usage du pronom personnel « Je » employé par un juge dans une décision de justice, ce qui correspond à l’expression d’une opinion qui ne saurait remplacer l’attendu d’un jugement digne de ce nom, et puis à y regarder de près, l’arrêt ne nous édifie pas sur le texte auquel il renvoie, qui relève de la procédure civile, et qui ne trouve donc pas application en droit pénal ; faut-il le dire et le répéter, le droit pénal est d’interprétation stricte, et le raisonnement analogique y est proscrit ; le juge applique le texte s’il existe dans la législation locale, et s’il n’existe pas , il ne doit pas aller le chercher ailleurs, mais doit au contraire interpréter ce vide juridique, si c’en est un, en faveur du prévenu, en application du principe de la légalité des délits et des peines.

Poursuivant ses pérégrinations, le juge s’exprime dans l’arrêt en ces termes : « La défense s’est prévalue de l’immunité de l’ancien président, alors qu’une décision a été rendue en la matière, confirmée par la Cour suprême ( Voir Abdel Razak Senhoury tome C) », or au niveau de la défense, nous n’avons jamais soulevé l’immunité comme moyen de défense , et aucune décision n‘est intervenue en l’espèce, pour qu’elle soit confirmée ou rejetée par la Cour suprême. Quant à Senhoury, éminent professeur égyptien de droit , il n’est nulle part dans ses traités, d’un quelconque texte sur le droit pénal , tous consacrés au droit civil, et il n’a non plus jamais publié un tome de son œuvre prolifique sous le titre « Abdel Razac Senhoury tome C».

Et notre magistrat de préciser : «  La source de toutes les législations se trouvent en réalité dans les conventions internationales, il s’ensuit que toute définition reproduite dans un texte, ici ou là, ou dans une loi, ici ou là, conforte ce qui se trouve dans notre législation , comme l’affirme l’article 324 du droit français» . Comprendra qui pourra ! Ce qui est certain, c’est qu’on ne saura jamais, à la lecture de l’arrêt de la Cour d’appel, si l’article 324 relève du droit pénal, du droit civil, du droit commercial, ou d’un texte de procédure.

4) Nous avons attaqué l’arrêt de la cour d’appel par la voie du pourvoi en cassation, à l’effet de le soumettre à la censure de la Cour suprême, devant laquelle également, notre client a mis en mouvement une procédure de prise à partie contre le coordinateur du pôle chargé de l’instruction, en l’espèce le juge El Houssein ould Kebad, comme il mettra en mouvement cette procédure contre tout juge qui commettra une faute grave à son détriment, qu’il soit auteur principal ou complice.

En conclusion de cet exposé suffisamment étayé, on peut affirmer que :

Ce dossier est cliniquement mort aussi bien sur le plan juridique que judiciaire. Certes, il a fait couler beaucoup d’encre, comme il est resté au centre de nos préoccupations, comme il a marqué les esprits, mais il est certain que toute personne qui se respecte ne saurait condamner quiconque sur la base d’un tissu de supputations mensongères, de contre-vérités, de violations de la loi, et si d’aventure quelqu’un le faisait, il serait le premier à se retrouver dans le box des accusés.

Le rempart contre l’injustice dans notre pays, c’est la Cour suprême, qui, rappelons-le, n’est pas une juridiction de fait ; elle statue en droit, et veille de la sorte à l’application de la loi dont elle garantit la souveraineté.

Nous lui avons présenté suffisamment de preuves édifiantes sur la violation et le piétinement de la loi , des preuves suffisantes pour faire annuler toutes les décisions rendues par nos juridictions dans ce dossier, cette année et l’année d’avant, ainsi que l’année qui leur est antérieure.

Nous attendons beaucoup du pouvoir de sanction et d’annulation de la Cour suprême pour que notre justice retrouve enfin sa dignité, en préservation de la souveraineté de la loi, et au mieux de la crédibilité, de la sécurité et de la quiétude de la Mauritanie.

Maître Mohameden ould Icheddou

Coordinateur du collectif chargé de la défense de l’ancien président de la république.

Traduit de l’arabe au français par maître Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud

Membre du Collectif chargé de la défense de l’ancien président de la république.

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